Bulletin, décembre 2016

Une dette envers la planète et les générations futures

par Monique Jeanmart

Août 2016, en plus d’être le mois le plus chaud jamais enregistré, marque une autre date importante. Selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) la hausse de la température mondiale s’explique par la concentration croissante des gaz à effet de serre (GES) dans l’atmosphère. Le 8 août 2016, est appelé le jour du « dépassement », c’est-à-dire le jour où nous avons épuisé les ressources que la planète nous fournit pour une année. Appelée «  empreinte écologique  » cette mesure définit l’impact des activités humaines sur les écosystèmes de la planète. Plus précisément, pour un individu ou une population, elle quantifie la surface bioproductive nécessaire pour couvrir les ressources consommées et en absorber les déchets. Prise globalement, cette empreinte écologique évolue dans le temps. En 2008, le jour de dépassement était le 23 septembre, cette année on l’évaluait au 8 août. Au-delà de cette date, nous vivons à crédit, épuisant le capital écologique de la planète. Selon le Global Footprint Network, il faudra en 2016, 1,6 planète pour alimenter la consommation des 20 % les plus riches. Pire encore, la dette écologique que nous contractons envers la planète s’aggrave d’une dette sociale envers les milliards d’humains qui sont exclus de ce mode de vie consommateur, qu’ils soient nos voisins ou habitent à l’autre bout de la terre et envers les générations futures.

Comment en sommes-nous arrivés là ?

Les inquiétudes relatives aux limites de la planète ne sont pas nouvelles. Au XVIII siècle, Thomas Malthus soulevait la question dans Essai sur les populations qui montrait les dangers d’une population qui croit plus vite que ses ressources.

C’est en 1973, dans un rapport commandé par le Club de Rome, que les premiers questionnements au sujet des limites écologiques de la planète sont clairement démontrés. Donatella et Denis Meadows [1] ont examiné la croissance exponentielle de l’utilisation des ressources, de la population et de l’activité économique depuis la révolution industrielle pour montrer que le rythme d’exploitation de la planète était insoutenable. L’idée centrale se résume simplement : « la croissance infinie dans un monde aux ressources limitées est impossible  ». Quarante ans plus tard, on ne peut que constater la justesse de leurs évaluations auxquelles se sont ajoutées des préoccupations pour la capacité de la planète à absorber les impacts environnementaux de ces activités.

D’autres sonnettes d’alarme seront tirées. En 1987, le rapport Bruntland [2] s’interroge également sur la durabilité de notre modèle, mais surtout sur notre responsabilité collective par rapport aux générations futures. Il en résulte un nouveau concept de «  développement durable  » (sustainable development). Plus récemment, les nombreux rapports du GIEC et le deuxième rapport de Donatella et Denis Meadows (2004) montrent qu’après quatre décennies de croissance continue nous entrons dans un temps où s’observent les symptômes de l’effondrement annoncé « nous n’avons pas mis fin à la croissance, la nature va s’en charger ».

Un système qui s’emballe

L’extractivisme désigne l’exploitation industrielle de la nature – eau, sol, forêt, faune et flore – et la quête sans fin de ressources naturelles qui s’épuisent, repoussant toujours plus loin les limites géographiques et technologiques de cette exploitation. Ces « frontières extractives » ne cessent de s’étendre sur de nouveaux espaces, multipliant les désastres, les dégradations environnementales et les tragédies humaines dans de nombreuses communautés qui s’y opposent farouchement. Plus grave encore est l’injustice de détruire l’environnement de peuples qui ne bénéficient d’aucune façon des « dits bienfaits  » de cette exploitation. Sans cette utilisation massive de la nature, notre mode de vie consumériste serait impossible, tout comme le serait l’ordre industriel productiviste qui le soutient.

Quelques données illustrent cet emballement : « On estime que plus de 70 milliards de tonnes de différentes matières (…..) sont extraites et utilisées chaque année pour créer de la valeur économique  » [3]. 500 Tours Eiffels, c’est la quantité de métal que notre planète consomme chaque 24 heures [4]. «  On s’apprête à extraire de la croute terrestre plus de métaux en une génération que pendant toute l’histoire de l’humanité  [5]. En même temps nous produisons par habitant et par an presque 5 kilos de déchets industriels.

L’âge de l’anthropocène

L’essor de cette civilisation technico industrielle extractiviste, productiviste et consumériste a si profondément et si durablement marqué la planète que de nombreux scientifiques considèrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère géologique qualifiée d’anthropocène. Une ère où c’est l’activité humaine – et non les forces de la nature – qui est devenue la force géologique déterminante. Force qui pille, transforme, pollue sous-sols, air et océans provoquant dérèglements climatiques, fontes des glaces, élévation du niveau des mers, etc. Climatologues et scientifiques tirent la sonnette d’alarme en continu : si les activités humaines en venaient à transformer la surface de la Terre de 50 %, celle-ci atteindrait le seuil conduisant à l’effondrement des écosystèmes planétaires. Nous en sommes actuellement à 43 %.

Changer le système

Devant tant d’évidences, une seule alternative : revoir de fond en comble les niveaux et modes de consommation des populations les plus riches de la planète. Mais plus encore, il faut changer de paradigme et remettre en question cette course à la croissance et au développement – que nous avons rendus indissociables – dans laquelle nos sociétés sont engagées. Il nous faudra développer des alternatives de production et de consommation qui assurent les besoins des populations avec des solutions qui soient compatibles avec la quantité de ressources que l’écosystème peut fournir sans hypothéquer sa capacité de récupération.

Attendre de nos dirigeants politiques et de nos élites économiques qu’ils adoptent les politiques nécessaires est illusoire. Pour preuve, les nombreuses COP – qui si elles génèrent beaucoup de discours – n’aboutissent pas aux véritables remises en question ni aux politiques souhaitées. L’innovation et la technologie – parce que ce sont elles qui nous mené dans ce cul-de-sac – ne sont pas non plus les voies de l’avenir.

Pour éviter l’effondrement nous devons entrer dans une transition où la discussion sur la « décroissance » est inévitable.

C’est par la pression des mouvements citoyens que l’on peut espérer arrêter la course folle de l’extractivisme et du consumérisme. Il faut remettre en question ce rapport prédateur au monde que nous avons intériorisé. Parce que si la logique extractiviste est inscrite au cœur du capital, cette logique de la croissance sans limites, de l’accumulation sans fin, du toujours plus et toujours plus vite, de la marchandisation de la nature en ressources exploitables, cette logique est inscrite en chacun de nous. Pour Tim Jackson, c’est elle qui nous enferme dans la «  cage de fer du consumérisme ». C’est cette même logique qui nous justifie de mettre la planète entière à notre service. Aussi longtemps que nous accepterons l’idée de l’exploitation massive et destructrice de la planète comme « naturelle », nous ne pourrons pas changer ce système qui ne survit que par notre acceptation quotidienne et par notre incapacité à concevoir un mode de vie fondé sur d’autres valeurs. Pour changer le système, il nous faudra d’abord écouter l’appel du Mouvement pour la décroissance à « décoloniser nos imaginaires ».


Monique Jeanmart est sociologue et membre du CA d’Attac Québec.

Notes

[1D.H.Meadows et all., Halte à la croissance. Rapport sur les limites de la croissance, Fayard, 1973

[2La Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous, Édition du fleuve, Montréal, 1989

[3Anna Bednik, Extractivisme. Exploitation industrielle de la nature : logique, conséquences, résistances, Édition la passager clandestin, 206, p.94.

[4Basta, septembre 2012

[5Philippe Bihouix, L’âge des low tech. Vers une civilisation techniquement soutenable. Seuil, 2014, p.17




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