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Bulletin, septembre 2021

LE BILLET DU CA

Peut-on encore dire ce qu’on pense vraiment durant une campagne électorale ?

par Jean Philippe Viau

Le déclenchement des 44e élections fédérales par le gouvernement libéral nous a replongé dans le lot des débats et des promesses par les partis politiques pour obtenir notre vote. Bien que cela soit divertissant, la plupart du temps nous sommes témoins d’attaques entre les candidat.e.s au lieu de débats sur les vrais enjeux et questions qui préoccupent l’électorat. Force est de constater que bien peu de réflexions et d’analyses indépendantes ruissellent vers le public. Les partis commandent des sondages, déclenchent des campagnes publicitaires ciblées selon les provinces et font des événements pour diffuser leurs programmes.

Pourtant, il y a bon nombre de groupes communautaires, citoyen.e.s ou syndicats qui ont des revendications spécifiques et des demandes claires envers le gouvernement et les candidat.e.s. Cependant, bien peu des revendications, demandes ou solutions de ces groupes sont rapportées ou rediffusées par les médias. Leurs présences sont plus grandes sur les médias sociaux, mais se manifestent en fournissant des outils pour les citoyen.e.s sur les élections ou en proposant un comparatif des programmes des principaux partis concernant une question ou une problématique spécifique. Cependant, leurs observations ne visent aucun parti en particulier et les affirmations ne nomment que les positions officielles (pour, contre ou aucune) de chacun des partis. Si un organisme voulait parler spécifiquement d’un candidat.e ou d’un parti politique, cet organisme (ou syndicat), en vertu de la Loi électorale du Canada, devra s’inscrire comme un tiers.

En effet, pour avoir le « droit » d’émettre son opinion ou de prendre position sur une question, pour « favoriser » ou « contrecarrer » un parti ou un candidat.e, il faut s’enregistrer comme tiers auprès d’Élections Canada dès que la campagne électorale débute et que la personne ou le groupe fait des activités réglementées dont le coût total dépasse 500 $. Il y aurait 74 groupes et organismes qui se sont inscrits comme tiers pour cette 44e élection fédérale.

La première activité réglementée est la publicité électorale. Elle se définit comme : la diffusion par un tiers, sur un support quelconque et pendant une période électorale, d’un message publicitaire favorisant ou contrecarrant un parti politique enregistré ou un candidat.e, notamment par une prise de position sur une question à laquelle est clairement associé un parti politique ou un candidat.e. Ceci laisse amplement de latitude aux exécutant.e.s pour déterminer le « support quelconque » dès qu’une position claire est prise. Voici quelques exemples de publicités électorales réglementées : publicités à la radio, à la télévision, dans les journaux, publicité payée dans les médias sociaux et toutes pancartes, ainsi que tous panneaux d’affichage et prospectus.

La deuxième activité réglementée est l’activité partisane. Ceci représente toutes les activités réalisées par un tiers pour favoriser ou contrecarrer un parti politique enregistré ou un candidat.e autrement qu’en prenant position sur une question à laquelle le parti ou la personne est associé. Si la personne ou le groupe prend seulement position sur une question (il faut arrêter l’évasion fiscale), cette partie n’est pas réglementée donc ne requiert pas une inscription comme tiers (la seule exception, il faut noter). Quelques exemples d’activités partisanes réglementées : les appels, les courriels, les messages textes et les sites web ; toutes publications gratuites dans les médias sociaux, incluant les vidéos ; le porte-à-porte, les rassemblements, les manifestations et toutes activités visant à stimuler la participation électorale. Cette liste comprend une large sélection des actions que les groupes citoyens, communautaires ou syndicaux utilisent.

Bien sûr, il y a certaines activités qui ne sont pas réglementées. Toute activité qui ne favorise pas ou ne contrecarre pas un parti politique, un chef.e de parti ou un candidat.e n’est pas réglementée. En voici quelques exemples : a) une communication, autre qu’une publicité, dans laquelle on prend position sur une question sans identifier de parti politique ou de candidat.e ; b) une entrevue pendant un bulletin de nouvelles par une organisation médiatique permanente ; c) un site web thématique qui présente les réponses de plusieurs candidat.e.s à un questionnaire, sans jugement ou commentaire exprimant un accord ou un désaccord avec les réponses.

En regardant ce qui est permis (activités non réglementées) et ce qui requiert l’inscription comme tiers, nous pouvons remarquer que notre droit collectif d’exprimer notre opinion est largement encadré par des règlements et des obligations de fournir, à différents moments durant l’élection et après, des documents, dont un budget. Même le bénévolat n’est pas reconnu et est calculé selon le salaire d’une personne faisant une activité comparable et une valeur monétaire y est attachée. Avec de telles conditions, il est facile de comprendre la position de plusieurs qui ne veulent pas se faire mettre à l’amende.

Ce processus empêche, me semble-t-il, de tenir nos élu.e.s responsables de leurs promesses non tenues, de leurs gaspillages ou manque d’éthique et de tenir des débats qui devraient concerner tous les citoyen.e.s, comme une transition juste pour toutes et tous, l’environnement, l’évasion fiscale et beaucoup d’autres qui mériteraient autant d’attention et de débats que d’autres sujets. Ne pouvant nommer des personnes ou des partis sans être enregistré sabre beaucoup d’informations qui seraient utiles pour débattre et prendre une décision éclairée avant de voter. À la place, nous devons nous contenter des débats des chef.e.s où les thèmes et les questions sont prédéfinis et qui se tranforment souvent en spectacles !

Peut-être le prochain gouvernement entamera-t-il finalement la réforme du mode de scrutin et de la Loi électorale du Canada, redonnant ainsi le pouvoir aux citoyen-es ? Ce n’est malheureusement pas le sujet de l’heure, mais on peut toujours rêver…




ATTAC-Québec