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Attac

Austérité : vérité, mythes et mensonges

Mener la guerre aux idées reçues: voilà l'objectif de ce bulletin parce que derrière la rhétorique gouvernementale de l'inévitabilité se cachent des choix idéologiques et politiques qu'il faut démasquer. L'article sur la Grèce montre que les politiques imposées par un néolibéralisme débridé ont mené à une situation digne d'un pays en guerre et fait la preuve que ces politiques au lieu d'aider les pays les enfoncent davantage. Un compte rendu du livre de Thomas Piketty permet lui aussi de prendre du recul sur les questions d'austérité.

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Les deux faces de l'austérité

Par Monique Jeanmart

Rigueur, austérité, efforts, sacrifices, faire sa juste part, se serrer la ceinture, ne pas léguer nos dettes à nos petits enfants... le rouleau compresseur d'un discours qui a gagné les cœurs et les esprits à un point tel que 44 % des Québécois en mai se disaient satisfaits - et appuyaient - un gouvernement qui, sous une belle rhétorique, leur impose des politiques dont personne n'a soufflé mot pendant la campagne électorale. Mais derrière cette rhétorique d'inévitabilité se cachent des choix idéologiques et politiques. Il faut lutter contre ces lieux communs pour mettre en lumière les mythes et les mensonges qui les constituent.

L'État ne frappe pas tout le monde également. Le fisc fait la chasse aux personnes qui quêtent dans la rue pour compléter une aide sociale insuffisante sans en déclarer les revenus. Mais Bombardier - et d' autres fleurons de l'économie québécoise utilisent toutes sortes d'échappatoires et de zones grises pour placer leurs profits - de façon légale - au Luxembourg ou dans d'autres économies de complaisance pour éviter l'impôt et se voit accorder l'absolution sans condition par Carlos Leitao.

Pendant que l'on hausse les tarifs et les taxes - on pense même à taxer les livres et les couches de bébé - qu'on sabre dans les services aux personnes à mobilité réduite, qu'on coupe dans le budget des garderies tout en augmentant la contribution payée par les parents, qu'on réduit les transferts aux municipalités et diminue leur marge de manœuvre, qu'on comprime les budgets à la santé et en éducation, qu'on gèle les salaires dans la fonction publique (« il faut que chacun fasse sa juste part »), pour les nantis il existe d'autres règles. On augmente généreusement les salaires des nouveaux cadres de la santé, Yves Bolduc quitte son siège après un an de cafouillage au ministère de l'Éducation avec une prime de 155 000 $ alors qu'un généreux salaire de médecin l'attend. Lucienne Robillard touche 1 100 $ par jour - qui s'ajoute à ses 2 pensions - pour diriger une Commission de révision des programmes qui coutera 3 millions pour proposer 2,3 milliards de compressions pour sabrer dans le gras ... des autres. Philippe Couillard justifie par « les compétences et l'importance des enjeux » un contrat de 500 000 $ accordé à Lucien Bouchard pour agir comme médiateur dans le différent qui oppose l'entreprise Produits Forestiers Résolus au gouvernement et aux communautés cries et innues. Alors que les tarifs d'électricité augmentent année après année, qu'en 2012 Hydro-Québec a coupé le service à 42 000 abonnés pour défaut de payement, Thierry Vandal, président démissionnaire, touchera une rente de retraite annuelle indexée de 425 402 $ avec en plus une allocation de départ de 565 500 $. Mais pour les simples citoyens les retraites à prestations déterminées c'est chose du passé parce que trop couteuses !

Dans le monde économique où nous vivons les échappatoires et les privilèges pour quelques-uns sont « normaux » parce que c'est le marché qui définit les règles. Mais ces règles et ces pratiques - que les PDG et les élites politiques et économiques se donnent à eux-mêmes - alimentent un cynisme ambiant pernicieux. Il faut refuser ce monde d'injustice où les politiques d'austérité aggravent les inégalités. Il faut dénoncer, clamer, agir, militer pour ne pas être complice de ces politiciens qui - élus par une minorité - agissent en notre nom pour remplacer l'État social que nous avons bâti par un « État du XXI siècle » qui nous ramènerait à un capitalisme primaire. Ultimement, c'est la démocratie qui est attaquée par ces discours et ces politiques qui permettent aux politiciens d'organiser le monde à l'avantage des mieux nantis. Il faut refuser l'austérité parce que nous avons les moyens de faire autrement.

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Nous avons les moyens de faire autrement

par Chantal Santerre

Suite à la crise financière de 2008, la crise de l'endettement en Grèce, révélée en octobre 2009, a été interprétée à la lumière de deux études importantes.

La première, réalisée par deux économistes de Harvard, Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff (Reinhard-Rogoff) et intitulée « Growth in a Time of Debt », prétendait démontrer que la dette ne fait pas que freiner la croissance, mais qu'en plus, lorsque celle-ci dépasse le seuil de 90 % du PIB, elle la fait stagner.

La deuxième, due à deux économistes italiens (Alesina et Ardagna), soutenait que les coupes sévères dans les dépenses des gouvernements des pays développés étaient en moyenne suivies d'une croissance plutôt que d'une décroissance, ceci parce que ces coupures fiscales avaient pour impact d'accroître la confiance du secteur privé et d'inciter à l'investissement.

Au total, vous aviez là, du moins aux yeux de certains décideurs, le parfait cocktail théorique permettant de justifier un appel immédiat aux mesures d'austérité. Après avoir renfloué les banques avec les fonds publics, il fallait désormais couper dans les dépenses gouvernementales et augmenter les recettes d'impôt afin d'éliminer les déficits et ne pas augmenter la dette.

Pourtant, dans le IMF Fiscal Monitor d'octobre 2012, le FMI reconnait que les mesures d'austérité adoptées ici et là, ont en fait eu un impact négatif majeur sur les pays qui les ont appliquées. Mieux encore, le FMI admet en avoir lui-même sous-estimé les impacts négatifs.

De plus, il a été démontré que les études avancées à l'appui des mesures d'austérité n'étaient pas valides. Celle de Reinhard-Rogoff comporte en effet des erreurs de codage dans le chiffrier de données, en plus de certaines faiblesses au niveau de la méthodologie pour l'analyse des données.

Quant à l'étude d'Alesina et Ardagna, aucun des exemples de mesures d'austérité qu'ils invoquent dans leur étude, et qui sont suivis par une période de croissance, ne s'est produit pendant une période de récession.

Actuellement, les preuves théoriques ainsi que les faits économiques tendent donc à démontrer que les mesures d'austérité n'ont pas permis de relancer l'économie, mais qu'elles ont au contraire enfoncé encore plus dans la récession les pays qui les ont appliquées.

Sachant tout cela - et le Québec n'étant même pas en récession - on se demande bien pourquoi cet acharnement du Gouvernement du Québec à sabrer dans les dépenses et à viser le déficit 0, en plus de se fixer comme objectif pour 2026 de ramener la dette à 45 % du PIB.

Qu'en est-il de la dette du Québec ?

Cet objectif du 45 % du PIB provient de la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations qui a été adoptée le 15 juin 2006 avec l'objectif de réduire le fardeau de la dette du Québec. Par ailleurs, aucune justification théorique n'accompagne l'objectif du 45 %, si ce n'est l'impact du niveau d'endettement sur la cote de crédit du Québec. Or, les cotes de crédit actuelles du Gouvernement du Québec sont excellentes, comme on peut le constater dans le tableau suivant :

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Source : Ministère des Finances : en ligne

En théorie, la nécessité de ne plus s'endetter pourrait être justifiée soit par une incapacité à rembourser la dette, soit par une incapacité à emprunter, soit par une incapacité à emprunter à des taux raisonnables. Mais ce n'est actuellement pas le cas du Québec. Voyons-le.

Le dernier emprunt du Gouvernement du Québec en date du 16 octobre 2014 a été de 1,6 milliard US au taux de 2,875 %.

Comme on peut le voir dans le tableau suivant, la dette nette du Gouvernement du Québec au 31 mars 2014 était de 49,9 % du PIB.

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L'endettement du Gouvernement n'est donc pas dramatique actuellement. Si on compare la dette du Québec en % du PIB avec le Canada et les autres pays de l'OCDE, on constate que le taux d'endettement du Québec est inférieur à celui du Canada, et bien inférieur à celui des États-Unis et de la moyenne des pays de l'OCDE.

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Source : IRIS, État de la dette du Québec 2014

Le Gouvernement doit faire appel à l'emprunt et donc augmenter sa dette lorsqu'il y a des déficits ou bien lorsqu'il y a des dépenses en infrastructures. C'est cette dette liée aux déficits que le Gouvernement souhaite réduire et éliminer, en visant le déficit 0.

Le déficit est la différence entre les revenus et les dépenses d'un gouvernement. Pour éliminer un déficit, on peut donc choisir ou d'augmenter les revenus ou de diminuer les dépenses ou les deux à la fois.

C'est justement ce que propose dans sa campagne 10 milliards $ de solutions la Coalition opposée à la tarification et à la privatisation des services publics.

10 milliards $ de solutions

Le but de la Coalition est de montrer que d'autres choix sont possibles et que les mesures d'austérité ne sont pas une fatalité, mais bien un choix politique et que ce n'est pas le seul. De plus, l'expérience canadienne et celle de nombreux pays ont montré que les mesures d'austérité n'ont pas l'effet escompté.

Ce document propose 18 solutions fiscales qui permettraient de générer des revenus supplémentaires pour le Gouvernement du Québec de 10 milliards $, tout en améliorant l'équité de notre système fiscal, en permettant une meilleure redistribution de la richesse, ce qui permettrait de réduire les inégalités. La réduction des inégalités a un impact positif sur la croissance économique parce qu'elle augmente la demande, ceci parce que toute hausse de ressources disponibles pour les moins bien nantis est réinjectée en quasi-totalité dans l'économie réelle.

Voyons un peu comment se présentent ces mesures.

Cinq de ces mesures proposent d'améliorer la progressivité de l'impôt et de revoir des dépenses fiscales (1), cinq autres proposent de rétablir un équilibre entre la fiscalité des particuliers et celle des entreprises, deux autres de lutter contre la fraude et la mauvaise gestion des fonds publics et finalement, six mesures diverses permettent de générer d'autres revenus ou de contrôler les dépenses.

Une des mesures importantes consiste à ajouter 7 paliers d'imposition aux 4 paliers actuels, ce qui a pour impact de générer 1 milliard$ de revenus supplémentaires pour le Gouvernement tout en diminuant les impôts de 94 % des contribuables qui paient de l'impôt actuellement, ceux ayant des revenus entre 25 000 $ et 70 000 $, tout en augmentant considérablement l'impôt à payer de ceux gagnant plus de 150 000 $.

Deux autres mesures consistent à revoir des dépenses fiscales qui offrent des traitements privilégiés à des personnes ayant des revenus élevés. La coalition propose ainsi d'abolir le crédit d'impôt sur les gains en capitaux ainsi que de réduire celui pour les revenus de dividendes et de ne plus offrir ainsi un traitement privilégié aux revenus provenant du capital.

Pour ce qui est des mesures permettant de rétablir un équilibre entre les particuliers et les entreprises, la Coalition propose d'augmenter le taux d'imposition des sociétés de 11,9 % à 15 %. En moins de 15 ans, le Gouvernement du Canada a diminué le taux d'imposition des sociétés de 28 % à 15 % en espérant ainsi encourager l'investissement, mais en 2013 c'est plus de 604 milliards $ de cet argent auquel le Gouvernement a renoncé et qui dorment dans les coffres des plus grandes entreprises au Canada.

La Coalition propose aussi de restaurer la taxe sur le capital auprès des institutions financières et de réduire les subventions et autres crédits aux entreprises.

De plus, la Coalition propose que la lutte à l'évasion fiscale ne s'attaque pas seulement à la petite criminalité, mais davantage à l'évasion fiscale de la grande entreprise et des plus riches, qui ont à leur disposition des spécialistes qui leur permettent de se soustraire à leurs obligations fiscales.

Finalement, au niveau des mesures pour contrôler les dépenses, la Coalition propose de mettre sur pied un régime entièrement public d'assurance médicaments. Cela permettrait de récupérer de 1 à 3 milliards $ par année.

Vous pourrez trouver l'ensemble des solutions sur le site internet de la coalition : cliquez ici pour télécharger le document en pdf.

Dans une publication récente (2), Joseph E. Stiglitz, prix Nobel d'économie 2001, au contraire du discours trop souvent entendu, explique pourquoi l'augmentation des inégalités au cours des dernières années à contribuer au ralentissement économique et comment l'accroissement de la progressivité de l'impôt stimule la croissance économique.

Il affirme qu'une réforme de la fiscalité est essentielle pour ramener la vitalité économique, par exemple en implantant une taxe sur les transactions financières comme le propose ATTAC, ou encore en augmentant le taux d'imposition des corporations, en abolissant les échappatoires fiscales, en augmentant la progressivité de l'impôt des particuliers ou en taxant l'héritage. Selon lui, toute réforme basée sur la diminution du déficit n'est pas un objectif souhaitable en soi. La fiscalité doit plutôt être réformée pour contribuer à la croissance économique, améliorer la redistribution et encourager des comportements socialement responsables de la part des individus et des corporations, par exemple en instaurant une taxe sur la pollution.

En conclusion, nous avons des solutions, il faudrait que ceux qui nous gouvernent aient la volonté politique de faire autrement et de les appliquer.

Notes

1 : Les dépenses fiscales sont des revenus auxquels le Gouvernement renonce pour encourager un comportement souhaité. Par exemple, par la déduction des contributions à des REER, le Gouvernement veut encourager les citoyens à se doter d'un fonds de retraite, c'est pourquoi il permet que ces contributions soient déductibles et fait en sorte qu'un particulier paie moins d'impôt. Cette économie d'impôt est un revenu en moins pour le Gouvernement. Un revenu en moins est donc l'équivalent d'une dépense, d'où l'appellation de dépense fiscale.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

2 : STIGLITZ, Joseph E., Reforming Taxation to Promote Growth and Equity, Roosevelt Institute, 28 mai 2014.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

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L'irréversible et l'idéologie

par Ianik Marcil

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Les politiques d'austérité obéissent à une logique très simple. Sous le prétexte de la nécessité d'assainir les finances publiques, soi-disant dans un état catastrophique, on réduit les dépenses publiques et on transforme en profondeur les institutions de l'État, quand on ne les supprime pas purement et simplement. En ce sens, elles sont d'abord et avant tout portées par une vision idéologique et modifient irréversiblement les contours de l'État.

Un exemple emblématique de cette logique a été l'annonce de la fermeture du costumier de Radio-Canada à l'automne 2014. Dans la foulée des compressions imposées à la société d'État, on a sacrifié ce qui était l'une des plus importantes collections du genre dans le monde, sans compter la richesse patrimoniale qu'elle représentait. Le prétexte : ce service était déficitaire. De fait, la direction de Radio-Canada soutenait que pour l'année en cours, le costumier enregistrait des pertes de 7 000$ et un déficit prévu de 60 000$ pour l'exercice financier suivant. Autant dire des poussières dans le budget de la SRC. Au nom du principe de l'équilibre budgétaire et de la rentabilité financière on saccage une institution publique et patrimoniale. Or, ce saccage est irréversible : il sera à toute fin pratique impossible de reconstruire le costumier de Radio-Canada.

La plupart des politiques d'austérité suivent ce même schéma : on invoque la nécessité de compressions budgétaires pour des raisons de gestion saine des finances publiques, on détruit des institutions ou on réduit des services publics, ce qui ouvre la porte au secteur privé pour prendre la relève d'un État de plus en plus ratatiné, ce qui justifiera ultimement de nouvelles coupes et un transfert au privé puisque les institutions publiques auront de moins en moins les moyens d'atteindre leurs objectifs. Voilà la dynamique simple d'une « privatisation tranquille » des services publics.

Les défenseurs de ce projet idéologique présentent les mesures d'austérité comme si elles ne s'appuyaient que sur des principes de saine gestion des affaires de l'État : le gouvernement ne fait qu'agir en « bon père de famille » comme on disait autrefois. Qui plus est, il n'a pas le choix d'agir en ce sens : l'état déplorable des finances publiques réduit sa marge de manœuvre à néant, le déficit et la dette incontrôlables menacent les générations futures et si on n'agit pas maintenant nous courrons littéralement vers la catastrophe. La réduction des dépenses de l'État et le « retour au déficit zéro » forment ainsi le credo d'un discours de vérité.

Ce qui est sidérant dans l'obstination du gouvernement Couillard - mais aussi de celui de Stephen Harper - c'est qu'ils appliquent des mesures que l'on sait inefficaces. Depuis un siècle, à chaque fois que des mesures d'austérité ont été imposées, elles n'ont pas fonctionné. L'économiste américain Mark Blyth l'a démontré éloquemment dans son ouvrage Austerity : The History of a Dangerous Idea (Oxford University Press, 2013). L'austérité ne fonctionne pas parce qu'elle fragilise les économies, quand elle ne les mettent pas complètement en récession. Ce sont même les institutions ayant imposé les mesures d'austérité en Europe qui le reconnaissent maintenant, au premier chef le Fonds monétaire international (FMI). À l'automne 2014, le FMI a reconnu qu'elles étaient inefficaces économiquement et qu'elles ne créaient pas d'emploi. Quarante des 60 pays qui ont appliqué les mesures d'austérité ont vu la situation de leur emploi se dégrader. Qui plus est, l'économiste Paul Krugman a démontré, en s'appuyant sur les données du FMI, qu'il existait une relation directement inverse entre l'importance des mesures d'austérité appliquées dans les pays européens et leur taux de croissance. Plus d'austérité égale moins de croissance.

Mais au-delà de la conjoncture, c'est la structure même de l'État qu'on transforme, sans l'avoir annoncé. Au moins, à Ottawa, le gouvernement Harper a le mérite d'être clair dans ses intentions, depuis le début. Le Parti conservateur assume pleinement son nom alors que le Parti libéral du Québec dévoie le sien. À l'automne 2014, Martin Coiteux affirmait que la réduction de 2% qu'il désirait imposer aux effectifs de la fonction publique visait à faire un « État du XXIe siècle ». Un État à la mesure de la réalité actuelle est donc un État ratatiné.

Le saccage des institutions publiques risque d'être, dans plusieurs cas, irréversible. C'est le cas, par exemple, de la fermeture des Centres locaux de développement (CLD) et les Conférences régionales des élus (CRÉ). Aux yeux du gouvernement, ces organisations ne sont que des structures administratives dont on peut se passer, en les rayant du grand livre comptable de l'État. Or, ces institutions se situent au cœur de la vie économique, sociale et communautaire de leurs régions. Prenons les CRÉ, par exemple. Comme leur nom l'indique, elles réunissaient les élus de chacune des régions du Québec. Elles permettaient de fédérer des ressources, financières et humaines, afin de promouvoir le développement socioéconomique de l'ensemble de la région. Par exemple, des budgets étaient alloués à des mesures favorisant l'insertion des femmes ou des personnes d'immigration récente à la vie économique et politique régionale. Ou à développer l'entrepreneuriat local et la valorisation du patrimoine culturel, technique ou agroalimentaire.

Ces organisations, profondément ancrées dans leurs milieux, perdront une expertise importante. Car une institution n'est pas qu'une structure administrative : elle est constituée d'hommes et de femmes qui y travaillent, qui possèdent une expertise unique, développée avec le temps, sont souvent des jeunes, très scolarisés et impliqués dans de multiples initiatives extra-professionnelles bénéficiant également à leur communauté, font vivre leur famille et donc l'économie locale et sont, en bout de piste, de formidables vecteurs de la vitalité de leur coin de pays. En détruisant ces organismes, le gouvernement déchire le tissu social en plus de priver ces communautés de gens d'expérience qui n'auront d'autre choix que de s'exiler dans les centres urbains, favorisant le déclin de leurs régions.

Les gouvernements qui appliquent des politiques d'austérité n'ont qu'une vision comptable mais les impacts de leurs décisions sont, eux, bien réels et concrets dans les communautés. Le démantèlement de l'État et la privatisation de ses institutions et des services publics ne sont pas une vue de l'esprit. Cela prendra des années avant que nous puissions rebâtir ces institutions collectives, si tant est que cela soit possible.

Ianik Marcil est économiste, spécialisé en transformations technologiques et sociales, en justice économique et en économie des arts et de la culture. Il a publié en mars 2015 un ouvrage collectif sous sa direction, 11 brefs essais contre l'austérité : Pour stopper le saccage planifié de l'État aux Éditions Somme toute ; des éléments du présent texte sont repris de l'introduction à cet ouvrage.

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La Grèce (encore !) à la croisée des chemins

par Cédric Leterme

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Voilà 6 ans que la Grèce s'invite régulièrement au cœur de l'actualité européenne. Jusqu'ici, c'était plutôt en tant que victime sacrificielle d'une austérité qui l'a conduite à une situation digne d'un pays en guerre. Mais depuis le mois de janvier 2015 et l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement de gauche radicale, elle pourrait cette fois illustrer la possibilité d'une politique alternative en Europe (comme ailleurs). Les tenants de la ligne actuelle ne s'y trompent d'ailleurs pas, comme en témoigne leur acharnement à vouloir faire plier à tout prix le nouveau gouvernement grec. Mais à trop vouloir le faire plier, ils pourraient l'amener à rompre, initiant une nouvelle phase d'incertitudes, pour le meilleur... ou pour le pire.

Tout commence fin 2009. Suite aux élections législatives organisées en Grèce, le nouveau gouvernement du PASOK (gauche social-démocrate) annonce un déficit budgétaire et un taux d'endettement public nettement plus élevés que prévus (1). Ce faisant, il jette la lumière sur des déséquilibres structurels longtemps passés sous silence en Grèce et en Europe (2), mais que les conséquences de la crise économique et financière mondiale de 2008 empêchent d'ignorer plus longtemps. Très vite, les taux d'emprunt de la Grèce sur les marchés financiers explosent, aidés en cela par les prophéties auto réalisatrices des agences de notation et par les attaques spéculatives dont le pays fait l'objet. Le premier ministre n'a alors d'autre choix que de se tourner vers ses « partenaires » européens pour éviter le défaut, le guichet de la Banque centrale européenne (BCE) lui étant constitutionnellement fermé (3). Ce sera le début d'une véritable descente aux enfers...

En échange de prêts octroyés à des taux « avantageux » (4), la Grèce accepte de se soumettre à une cure d'austérité dont la « Troïka » se voit confiée la supervision. Créée en dehors de tout cadre légal, cette institution réunit des représentants du FMI, de la BCE et de la Commission européenne. Ses fonctionnaires sont chargés de définir les mesures précises que la Grèce doit adopter en échange du versement de « tranches d'aide » successives... sans aucune possibilité de contrôle démocratique. Cela explique probablement la violence inouïe des réformes imposées : baisse des salaires, des pensions et des allocations sociales, licenciement massif dans la fonction publique, coupes sombres dans les dépenses de santé et d'éducation, privatisations des joyaux nationaux, réforme du Code du travail... Tout y passe, dans un scénario digne de la « stratégie du choc » fameusement décrite par Naomi Klein (5). La Grèce sert de laboratoire au néolibéralisme le plus débridé et les résultats sont tout simplement effrayants. Non seulement le pays s'enfonce dans une crise sociale et humanitaire inédite, mais en plus les résultats économiques ne sont même pas au rendez-vous, la dette du pays continuant notamment d'augmenter (6). Dès 2011, un nouveau « plan de sauvetage » doit d'ailleurs être négocié, qui combine une restructuration de la dette grecque et de nouveaux prêts (7) en échange d'un approfondissement de l'austérité.

De la crise économique au renouveau politique

Face à la révolte populaire croissante qu'inspire cette politique, le premier ministre se risque toutefois à proposer l'organisation d'un référendum sur l'adoption de ce nouveau paquet de réformes. Il en sera rapidement dissuadé par ses « partenaires » européens et remettra sa démission dans la foulée, au profit d'un gouvernement « d'union nationale » emmené par l'ancien banquier Lucas Papadémos, à la tête d'une coalition de technocrates soutenue par le PASOK, la Nouvelle Démocratie (centre droit) et l'extrême droite du LAOS. Il s'agit là du premier signe de décomposition du système bipartite hérité de la fin de la dictature, en 1974. Celle-ci se confirmera lors des élections de mai et juin 2012 (8), qui voient les partis de gouvernement traditionnels connaître un recul historique (9), tandis qu'émergent de nouvelles forces aussi bien à gauche qu'à droite de l'échiquier politique. Parmi celles-ci, l'alliance de gauche radicale Syriza s'impose comme principal prétendant au pouvoir, mais elle échoue à deux reprises à s'imposer comme premier parti du pays, notamment en raison d'une campagne d'intimidation menée par les élites pro-européennes (dans et en dehors de la Grèce) qui brandissent la menace d'une sortie de la Grèce de la zone euro en cas de victoire de Syriza (10).

Ce n'est toutefois que partie remise, puisque dès 2015, les chantages ne suffisent plus à effrayer des Grecs épuisés par 6 ans de crise ininterrompue qui auront vu le PIB chuter de 25 % (un recul inédit en temps de paix...), le chômage s'envoler à plus de 30 % (60 % chez les jeunes) ou encore le tiers des hôpitaux du pays fermer leur porte. Lors des élections législatives anticipées organisées au mois de janvier, Syriza l'emporte haut la main (sans toutefois obtenir une majorité absolue au Parlement), après avoir fait campagne autour d'une volonté de restructuration de la dette grecque (à négocier dans le cadre d'une conférence européenne sur la question), la redéfinition des modalités de son remboursement, l'adoption de mesures humanitaires d'urgence ou encore une réforme en profondeur de l'État grec. On est donc loin des positions « extrémistes » ou « populistes » dénoncées en cœur par l'élite europhile politicomédiatique (11). De nombreux observateurs (et non des plus radicaux) ont d'ailleurs souligné l'impossibilité de poursuivre dans la voie tracée jusque-là (12). Néanmoins, pour les tenants de la ligne « austéritaire », il s'agit avant tout d'une question de principe : éviter à tout prix qu'une alternative ne se dessine, sans quoi non seulement les fondements de la politique imposée depuis 2010 se trouveraient mis en cause, mais aussi, plus largement, les fondements mêmes de la zone euro. C'est d'autant plus le cas que des élections législatives doivent avoir lieu prochainement dans des pays au poids économique nettement moins négligeable que la Grèce - à commencer par l'Espagne - et qui pourraient être tentés de suivre la même voie qu'elle en cas de succès de Syriza (13). Naturellement, ce sont les États les plus étroitement attachés à l'orthodoxie actuelle, à commencer par l'Allemagne, qui se montrent les plus intransigeants. Mais même les pouvoirs étiquetés de « gauche » en France et en Italie ont refusé d'apporter leur soutien au gouvernement d'Alexis Tsipras. On les comprend, dans la mesure où cela aurait signifié que leur propre soumission sur ces questions était loin d'être inévitable...

Un jeu dangereux pour l'Europe

Alors que les négociations s'enlisent entre une Grèce asphyxiée financièrement et isolée politiquement et des « partenaires » européens désireux de la faire plier, le scénario d'un choix entre capitulation et sortie de l'euro semble se préciser pour Syriza (14), mais sans qu'aucun des deux camps ne soit tout à fait prêt à l'assumer. En effet, côté grec, on craint (légitimement) le chaos économique et politique qui ne manquerait pas de faire suite à une sortie en catastrophe de la zone euro, même si à terme il pourrait permettre au pays de repartir sur de meilleures bases. Encore faut-il, en effet, qu'une majorité suffisante de Grecs soit prête à en payer le coût à court terme (et ce alors même que la situation est déjà extrêmement critique pour la plupart d'entre eux), tout en évitant qu'une extrême droite toujours bien implantée au sein de l'appareil d'État (notamment militaire et policier) n'en profite pour faire replonger le pays dans les pires heures de son histoire... Ces considérations permettent probablement d'expliquer la multiplication des concessions de la part de Syriza, dont l'objectif prioritaire semble être, du moins pour l'heure, de gagner du temps.

Or, côté Européen, si on ne peut pas non plus exclure des conséquences économiques importantes en cas de sortie de la Grèce (même si elles sont minimisées officiellement), c'est surtout d'un point de vue politique qu'un tel scénario s'avérerait dangereux, surtout s'il apparaît trop clairement qu'il est le résultat d'une intransigeance injustifiée de la part des principaux États de la zone euro. En effet, ceux-ci ne peuvent ignorer le discrédit croissant qui frappe un projet européen fondé de plus en plus exclusivement sur la contrainte et le déni de démocratie. Dans ce contexte, s'il est essentiel pour eux d'œuvrer à l'échec de Syriza, il leur faut toutefois maintenir au maximum l'illusion que cet échec lui serait entièrement imputable, ou à tout le moins qu'il refléterait le fameux « TINA » de Margaret Thatcher (« There is no alternative »). Faute de quoi, il pourrait bien susciter les réactions exactement inverses à celles qui sont recherchées, en Grèce comme ailleurs... À court terme, une telle stratégie peut se révéler payante. À moyen long terme, l'histoire nous apprend toutefois qu'elle ne peut qu'échouer, pour le meilleur, comme pour le pire... Reste à espérer qu'en Grèce ce soit une forme de meilleur qui l'emporte.

Cédric Leterme est doctorant en sciences politiques en Belgique. On peut le lire dans la revue d'actualité sociale européenne Metis. Il a été membre du CA d'Attac Québec pendant ses études au Québec.
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Notes

1 : Le premier dépasse les 12 %, soit le double de ce qui avait été annoncé (et le quadruple de ce qu'autorise, en théorie, l'appartenance à la zone euro), tandis que le taux d'endettement public est destiné à atteindre 120 % du PIB alors que les traités n'autorisent (en principe) que 60 %.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

2 : L'histoire officielle voudrait que ce soit la corruption et l'évasion fiscale qui sont principalement à l'origine de la crise grecque, une situation qu'elle aurait longtemps camouflée en maquillant ses comptes. Or, ce n'est qu'une partie de la vérité. Tout d'abord, ces pratiques étaient loin d'être méconnues des autres pays européens, qui ont choisi de les ignorer, quand ils n'y ont pas directement participé. Ensuite, cette explication fait l'impasse sur les déséquilibres structurels liés cette fois au fonctionnement même de la zone euro. Or, ceux-ci engagent directement la responsabilité des États qui en ont le plus profité, à commencer par l'Allemagne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

3 : Cette interdiction faite à la BCE de prêter directement aux États constitue un rouage essentiel du verrouillage néolibéral des politiques économiques de la zone euro. Elle soumet en effet les politiques de ses États membres à la sanction ultime des marchés financiers, dans la mesure où ils en dépendent exclusivement pour se financer.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

4 : S'ils sont effectivement inférieurs à ceux exigés par les marchés, ces taux sont toutefois supérieurs à ceux auxquels les États qui les octroient parviennent eux-mêmes à se financer. En clair, la « solidarité » européenne consiste par exemple pour la France à emprunter à du 1 % pour reprêter ensuite à la Grèce à du 3 %, en empochant au passage la différence...** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

5 : KLEIN, Naomi, La stratégie du choc : La montée d'un capitalisme du désastre, LEMÉAC/Actes Sud, 2008.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

6 : Rien d'étonnant à cela, dans la mesure où la saignée est telle qu'elle entraîne un effondrement économique bien supérieur aux économies qu'elle permet de réaliser. Il faut toutefois se garder d'y voir une aberration économique, dans la mesure où ces réformes servent avant tout un objectif politique. De ce point de vue, c'est-à-dire celui des intérêts qu'elles servent, elles sont parfaitement cohérentes.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

7 : Au terme de cette opération qui aura surtout servi à aider les banques (notamment françaises et allemandes) lourdement exposées à la dette grecque, le pays se retrouve... avec un taux d'endettement inchangé ! Simplement, les créances sont passées des mains du secteur privé au secteur public...** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

8 : Les élections de mai 2012 n'ayant pas permis de dégager une coalition susceptible d'avoir la majorité au Parlement, un nouveau scrutin est convoqué pour le mois suivant.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

9 : C'est particulièrement le cas du PASOK, qui paye lourdement sa gestion de la crise depuis 2009. Il passe ainsi de 44 % des suffrages en 2009 à 13 % en 2012... De son côté, la ND parvient à se maintenir in extremis comme premier parti de Grèce (malgré sa responsabilité tout aussi grande dans la situation du pays), mais en enregistrant également une forte baisse des voix exprimées en sa faveur (celles-ci baissent de 48 % entre 2009 et 2012).** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

10 : Effectivement défendue par Syriza à ses débuts, cette position a été abandonnée devant le rejet qu'elle inspirait au sein d'une proportion importante de la population grecque, qui en craint les conséquences économiques.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

11 : Tout bien considéré, le programme de Syriza faisait même plutôt preuve d'une remarquable modération compte tenu de la violence des affronts subis par la population grecque depuis le début de la crise.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

12 : Même le Président Obama - que l'on peut difficilement suspecter de gauchisme - a reconnu qu' «on ne peut pas continuer à pressurer des pays qui sont en pleine dépression. À un moment donné, il faut une stratégie de croissance pour pouvoir rembourser ses dettes ».** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

13 : En Espagne, le parti PODEMOS (« nous pouvons »), issu en partie du mouvement des indignés apparaît ainsi dans les sondages comme un probable vainqueur des élections prévues en fin d'année dans le pays. ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

14 : L'économiste Frédéric Lordon avait déjà prévenu de cette éventualité dans un article paru avant même la tenue des élections et intitulé « L'alternative de Syriza : passer sous la table ou la renverser » : en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

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Attac
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Austérité : une guerre du capital contre nous tous, selon Thomas Piketty

par Roger Lanoue

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Au Québec actuellement, la raison principale pour couper dans les dépenses n'est pas l'inutilité de la dépense, mais le manque présumé de revenus ou de richesse; il est donc grand temps de regarder du côté des revenus et de la richesse !

Et jeter un coup d'œil sur le livre récent de l'économiste français Thomas Piketty, dans son best-seller Le Capital au XXIe siècle (1), peut nous aider à prendre du recul sur la question de l'austérité.

Piketty vise à mettre la question de la répartition des richesses au cœur de l'analyse économique ; en général les économistes évitent cette question ou la traitent comme un dérivé presque secondaire. Il déclare en partant qu'il a un préjugé pro-démocratie et pro-méritocratie ; il cherche donc à comprendre les mécanismes qui favorisent - ou défavorisent - une certaine égalité dans la répartition des richesses.

Inégalité mondiale de la répartition des richesses...

Il dresse un portrait de l'inégalité mondiale de la répartition des richesses en se basant sur les statistiques disponibles sur les revenus et les patrimoines depuis le 18e siècle dans quelque 20 pays; il est conscient que les statistiques disponibles excluent nécessairement en grande partie ce qui se cache dans l'économie souterraine de type mafia ou paradis fiscaux, ce qui sous-estime donc l'ampleur des inégalités.

En résumé, ce portrait examine l'évolution de la répartition des revenus et de la richesse ; il montre une très grande stabilité, en pratique il s'agit d'une extrême inégalité, dans la répartition des revenus et des richesses dans les pays d'Occident, et ce jusqu'au début de la première guerre mondiale en 1914. Il observe une diminution drastique de l'importance relative du capital de 1914 à 1945, et ce dans tous les pays d'Occident, avec quelques variantes entre les pays. Puis les « 30 Glorieuses » de 1945 à 1975 environ, en conservant l'impôt sur le revenu inventé au début du XXe siècle, et en maintenant les avancées en fiscalité progressive et en impôt sur les grands revenus et grandes fortunes, ont maintenu la moindre inégalité héritée de la période des 2 grandes guerres. Depuis 1975-1980, on vit un retour à la concentration des richesses, et si la tendance se maintient, on devrait dans les prochaines décennies revenir presque à la situation d'avant 1914, soit la concentration du capital/patrimoine entre les mains de moins d'un millième de la population et à la très grande inégalité qui en découle dans la répartition de la richesse.

Pourquoi ? Quel est le principal mécanisme économique qui explique l'augmentation des inégalités ?

Si le rendement du capital (typiquement au-dessus de 4 %/an) est plus grand que le taux de croissance d'une économie (typiquement moins de 2 % par an, sauf exception telles les 30 Glorieuses en Occident ou la Chine durant les derniers 20 ans), il y a nécessairement augmentation des inégalités entre les détenteurs de capital, qui amassent une plus grande proportion de la richesse créée, VS les autres qui se partagent le reste de la richesse créée. Le seul facteur modérant à la marge cette augmentation des inégalités est la diffusion des connaissances et compétences.

Dit autrement, peu importe le niveau de croissance (de la population + de la productivité), qu'il soit 3 %, 1 %, 0 %, ou même négatif, si le taux de rendement du capital est supérieur à ce chiffre, il y a nécessairement augmentation de la disparité des richesses en faveur des détenteurs du capital. Si on n'a aucune croissance et que le rendement est de + 1 %, les riches s'enrichissent, donc les autres en ont proportionnellement moins ; à l'absurde, s'il y a récession (diminution de la production totale de 2 % par exemple), et que le rendement du capital est 0 %, les riches s'enrichissent parce que 0 % est plus grand que -2 %.

Une autre façon de le voir : dans une société en stagnation économique, l'importance relative du patrimoine est démesurée puisqu'il permet à ses détenteurs de concentrer la richesse même s'il ne s'en crée pas.

... en faveur des rentiers

Piketty analyse les revenus provenant du travail et les revenus provenant de rentes. D'abord, il est clair que le capital est toujours plus inégalement réparti que la force de travail, et donc aussi le revenu qui en découle. Ensuite, les rentiers (qui à toutes les époques se prétendent les définisseurs de la civilisation et du raffinement), sont et ont toujours été très majoritairement des ennemis de la démocratie ; le 1 %, ou plutôt le .001 % (un millième de la population) toujours plus riche, se maintient avec des outils propres à chaque époque.

Les outils de notre époque (au-delà de l'achat de partis politiques, de think tanks, de centres de recherche, de médias d'information) sont les paradis fiscaux et surtout la dette.

Paradis fiscaux : en utilisant les chiffres et proportions évoquées par Piketty, si le PIB du Canada s'estime à quelque 1500 milliards $, le capital privé détenu par les Canadiens (évidemment surtout un millième des Canadiens) vaut au moins 4 fois plus, soit 6000 milliards $ ; le 150mm $ estimé par statistique Canada comme étant détenu par des Canadiens dans les paradis fiscaux ne représente que 2,5 % du capital privé canadien, ou 10 % du PIB canadien annuel (des pourcentages minimums évidemment selon Piketty). Çà, compte quand même comme perte fiscale pour nos gouvernements.

Dette : un instrument privilégié par les rentiers d'aujourd'hui est de ne permettre aux gouvernements de fonctionner et d'investir qu'en s'endettant et en payant à ces mêmes rentiers des intérêts alors que la monnaie et aussi ces dettes sont garanties, en finale, par les contribuables.

  1. Piketty pose la question : une fois contractée, avec intérêt important ou non, devrait-on réduire la dette par impôt sur le capital, par l'inflation ou par l'austérité ?

  2. Son analyse approfondie mène évidemment à la conclusion que l'austérité est la voie la moins utile, la plus souffrante, la plus injuste, etc.
  3. Plusieurs pays par le passé ont pu réduire substantiellement leurs dettes par l'inflation (rembourser avec des monnaies dévaluées), inflation que les détenteurs du capital ont fini par vouloir minimiser en exigeant des banques centrales « responsables » de prioriser la lutte à l'inflation.
  4. Mais la voie la plus sûre serait l'impôt sur le capital.

Impôt sur le capital

  1. Pour échapper à la tendance lourde de l'augmentation constante de la concentration du capital et de l'inégalité de la répartition des richesses, faudra-t-il d'autres guerres mondiales, ou existe-t-il des solutions moins chaotiques ? Piketty voit comme techniquement possible le contrôle de la répartition de la richesse sur la planète par

  2. un impôt mondial sur le capital (au moins comme utopie utile, possiblement applicable en Europe), ce qui requiert une transparence démocratique et financière, techniquement facile et faisable via la transmission automatique d'informations bancaires
  3. un impôt (national/local) progressif sur les revenus

Présentement la seule taxe implantée sur le capital est la taxe foncière sur les biens immobiliers typiquement en faveur des municipalités, et la taxe sur le patrimoine lors de décès (fiscalité successorale) dans certains pays. Un impôt mondial annuel sur la richesse requerrait une volonté internationale difficile à imaginer pour le moment.

Après tout au-delà de l'analyse économique, il faut aussi faire l'analyse politique du capital. Si le capital concentre plus de richesse, c'est aussi parce que le capital est l'expression moderne du pouvoir : pouvoir des actionnaires sur les entreprises, des entreprises sur les gouvernements, des gouvernements sur les contribuables et bénéficiaires de services publics, etc.

Et on revient à l'austérité... au Québec actuellement, la raison principale pour couper dans les dépenses n'est pas l'inutilité de la dépense, mais le manque réel de pouvoir des citoyens...

Notes

1 : PIKETTY, Thomas, Le Capital au XXIe siècle. Éditions du Seuil, 2013.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

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Documentaire Le prix à payer d'Harold Crooks
Les effets de l'évasion fiscale sur nos démocraties ou pourquoi les coffres de l'État sont vides

par Moniques Jeanmart

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Inspiré du livre La crise fiscale qui s'en vient de Brigitte Alepin, le documentaire Le prix à payer d'Harold Crooks met en lumière les effets des échappatoires - légales, mais immorales - et de l'évasion fiscale sur nos démocraties. « Le prix à payer de ces systèmes archaïques qui permettent à une catégorie de contribuables très bien nantis de surfer sur des systèmes d'imposition à l'échelle internationale de manière à payer peu ou pas d'impôts, c'est peut-être la fin de notre filet social ».

À l'ère de la mondialisation, parce que nous n'avons pas pris le temps - ou parce que nos politiciens sont complices - d'adapter les régimes d'imposition, les États sont entrés en concurrence pour attirer les capitaux. « Les pays sont entrés en concurrence entre eux pour attirer les multinationales, le capital mobile dans leurs frontières. Pour les attirer, ils abaissent de plus en plus les taux d'imposition... À force de donner des cadeaux pour attirer les multinationales on demande aux autres contribuables, qui sont immobiles à l'intérieur des sociétés, de compenser. C'est un transfert fiscal d'une catégorie de contribuables à une autre, et concurremment, on met en place des plans d'austérité ».

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Attac

Publications

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Ianik MARCIL (directeur),
11 brefs essais contre l'austérité,
Somme Toute, 2014

Les politiques d'austérité ne sont pas qu'économiques. Elles sont idéologiques, car elles visent à démanteler l'État et à privatiser des services publics ou à les tarifer, sous prétexte de contraintes budgétaires. Ces 11 brefs essais montrent que les politiques d'austérité saccagent l'État tel que nous l'avons collectivement bâti depuis des décennies, au détriment de la solidarité et de la justice sociale. Ces textes portent un regard critique sur l'impact qu'ont ces politiques au Québec et au Canada sur les grandes institutions de l'État, les réseaux d'éducation et de santé, le soutien scientifique et la protection de l'environnement, mais, d'abord et avant tout, sur les femmes, les familles, les Premières Nations et les plus démunis.

Un outil essentiel pour comprendre les effets destructeurs des politiques d'austérité, pour alimenter le débat et contrecarrer l'idéologie dominante.

Avec des essais de :
Alexa Conradi, Eve-Lyne Couturier, Annie Desrochers, Widia Larivière, Hans Marotte, Benoît Melançon, Melissa Mollen Dupuis, Christian Nadeau, Joëlle Tremblay, Alain Vadeboncoeur et Laure Waridel

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Jacques B. GÉLINAS,
Le Néolibre-échange,
Écosociété, 2015

Ce livre raconte comment, dans les années 1980, nos élites politiques se sont converties à un nouveau type de libre-échange qui englobe non seulement les marchandises, mais aussi les services, les investissements et la surprotection des brevets des multinationales. Il s'agit d'un libre-échange réinventé, appelé néolibre-échange en raison de son lien congénital avec le néolibéralisme qui prône la primauté de marché sur le politique.

Désastreux pour l'environnement, la démocratie et la justice sociale, le néolibre-échange révèle la nature perverse du système économique qui l'a engendré : le capitalisme. Un système qu'il faut remplacer. C'est pourquoi la deuxième partie de l'ouvrage explore les contours d'un modèle alternatif qui d'ores et déjà prend racine dans les interstices du capitalisme : le coopérativisme.

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