La Presse
Monde, mercredi 4 juin 2003, p. A10

Les altermondialistes appellent à la dissolution du G8

Khan, Jooneed

DES ALPES à l'Afrique et au Canada, les critiques de la "mondialisation néolibérale", les ONG du développement, de l'environnement et des droits humains, et des organisations de la société civile ont tous conclu hier à "l'échec du G8" au sommet d'Évian, à "la panne de volonté politique des grandes puissances" et à une "crise de leur crédibilité globale".

"Un G8 pour rien", affirme le communiqué des huit organisations altermondialistes qui avaient convoqué, à Annemasse, non loin d'Évian, le Sommet pour un autre monde (SPAM).

À la liste de propositions soumises par elles la veille sur des thèmes urgents comme la lutte contre la pauvreté et contre le sida, la dette des pays pauvres, le NEPAD (Plan d'action pour l'Afrique), les droits humains et la responsabilité sociale des entreprises, les responsables du SPAM ont ajouté hier une autre: "la dissolution du G8 et la mise en place d'une architecture internationale recentrée sur le droit et un système de Nations unies rénové".

"D'un mince filet à une simple goutte", tel est le jugement de six réseaux d'ONG et de syndicats africains qui comparent "le consternant échec d'Évian" au sommet de 2002 à Kananaskis, au Canada, "qui avait mis de l'avant le Plan d'action pour l'Afrique".

Un commentateur de l'AFP, Olivier Baube, qualifie même la Déclaration finale du G8 à Évian de "catalogue plein de voeux pieux, et déconcertant de vacuité". Exemple: "la famine est une tragédie qui pourrait être évitée", dit la Déclaration. Comment? Par "des politiques économiques et de gestion publique, ainsi que des réformes institutionnelles, qui empêchent d'aboutir à une situation de famine"!

Aucune mention, note son collègue Hervé Rouach, de "la question très sensible des subventions agricoles versées aux agriculteurs du monde riche" et qui "freinent le développement de l'agriculture en Afrique".

À Siby, village malien situé à une cinquantaine de kilomètres de Bamako, les participants au "Sommet des pauvres" organisé en parallèle à celui d'Évian avaient, dès lundi, rejeté comme "de simples effets d'annonce" les mesures décidées par le G8 pour l'Afrique. Pour Mme Barry Aminata Touré, présidente de Jubilé 2000-Mali voué à la lutte contre la pauvreté, "ce qui intéressait" les grandes puissances à Évian, "c'était les poignées de mains entre Jacques Chirac et George Bush" après leurs désaccords sur la guerre en Irak.

À Évian lundi, "les choses sérieuses (l'économie) étaient le matin, Bush est ensuite parti, et après il y a eu les amuse-gueules (le développement)", notent les hôtes du SPAM- Attac, les Amis de la terre, Greenpeace, Agir ici, CCFD, CRID, CADTM et 4D. C'est "un indicateur brutal du manque de considération pour ces enjeux majeurs", disent-ils.

Sur le sida "le compte n'y est pas", sur la dette "rien de rien", sur le commerce "la fuite en avant dans la libéralisation accélérée" qui est "la cause même du désordre mondial", affirme le SPAM. Seules "timides avancées": "l'appel à la responsabilité sociale des entreprises et l'évocation du protocole de Kyoto sur l'environnement".

Mais, avec "415 des 500 plus grandes multinationales hébergées dans les pays du G8, cet appel au volontariat est inefficace". Pour les Amis de la terre, le G8 a "rallongé la liste des initiatives visant à satisfaire les multinationales". Le "souci d'ouverture" aux pays du Sud n'est qu' "une supercherie", dit le SPAM, car "les pays riches se réservent le droit de choisir leurs invités". Il dit ne pas "être dupe" du fait que Chirac ait reçu les ONG avant le sommet, car il applique, chez lui, "du thatchérisme à la française".

Pour Aziz Fall, politologue montréalais d'origine sénégalaise, "les États du G8 sont eux-mêmes dépassés par l'oligopolisation de l'économie mondiale". "Une dizaine de firmes contrôlent la moitié du marché mondial, et les 350 plus riches entreprises accaparent un revenu égal à celui de 2,6 milliards de gens". "Traduction imparfaite de globalisation, la mondialisation bénéficie en priorité à ces entreprises et puissances étatiques, et ne pourra d'aucune façon s'arroger le titre de changement social".

Soulignant que la guerre contre l'Irak a coûté 70 milliards de dollars US, Caroline Sande Mukulira, d'Oxfam, a affirmé que "c'est plus de cinq fois l'aide versée à l'Afrique l'an dernier, et plus du double des investissements dont l'Afrique a besoin chaque année pour atteindre ses objectifs de développement". "Les dirigeants des grandes puissances ont démontré qu'il peuvent agir quand ils le veulent", a-t-elle ajouté.

Catégorie : Politique nationale et internationale
Sujet(s) uniforme(s) : Politique extérieure et relations internationales; Économie mondiale
Taille : Moyen, 525 mots

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Doc. : 20030604LA0023