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Bulletin, octobre 2020

Projet de loi 66 – Quand le retour à « l’anormal » devient une solution.

par Jacques Bouchard, Samuel Élie Lesage
Membre du Conseil d’administration d’Attac-Québec et conseiller syndical à la CSD

Le projet de loi 66 (Pl 66) qui vient d’être présenté par le gouvernement de la CAQ, diffère énormément du projet de loi 61 (Pl 61), lequel avait été fortement contesté au printemps dernier quant au respect des principes démocratiques, à l’absence de limite à l’état d’urgence et aux allègements des règles environnementales.

Il faut le souligner : la mobilisation des différents groupes de la société civile et de la population du Québec aura permis de construire une opposition efficace et suffisante pour faire reculer le gouvernement sur le Pl 61. En soi, ce n’est pas une mince victoire.

Du point de vue global, le Pl 66 est très transparent quant à la vision de la relance souhaitée par le gouvernement : le béton. Pour ce faire, il propose l’accélération de projets de construction ou d’agrandissement d’infrastructures publiques (comme des écoles, des établissements de soins, les fameuses Maisons des aînés, des

autoroutes et des infrastructures de transport en commun, notamment le Réseau express métropolitain (REM) et le prolongement de la ligne bleue du métro de Montréal) en abolissant plusieurs processus administratifs qui auraient le tort de « ralentir » les projets par le biais de « mesures d’accélération ». Au nombre de quatre, chacune de ces mesures vise à réduire les délais et dispose de conditions précises pour être enclenchée. On pourra donc accélérer les expropriations, faciliter l’occupation des biens de l’État, accélérer des processus relevant de l’aménagement et de l’urbanisme, et surtout, alléger les protections environnementales et accélérer les évaluations des impacts des projets sur l’environnement.

Sur cette dernière mesure d’accélération, soulevons que le Pl 66 propose des aménagements majeurs. Même si les obligations de la Loi sur la qualité de l’environnement (LQE) sont maintenues, obtenir les permis et les autorisations ne sera plus un préalable aux travaux. Le gouvernement opèrera des évaluations pendant que les travaux se déroulent.

Il est opportun de s’interroger sur la capacité de l’Autorité des marchés publics (AMP) qui se verra confier le mandat d’examiner le processus d’adjudication ou d’attribution des contrats publics qui découlent d’un projet d’infrastructure lorsque l’organisme public concerné n’apparaît pas agir en conformité avec le cadre normatif. Il s’agit d’une bonne initiative que de confier la responsabilité de surveillance des chantiers accélérés à un organisme indépendant, mais l’AMP est très récente et les nouveaux pouvoirs conférés par le Pl. 66 restent limités.

Nous avons souligné que l’accent de la relance est mis sur les infrastructures. C’est bien, surtout lorsque l’on vise le développement du transport collectif afin de proposer une alternative pour les déplacements. On veut bien comprendre que, pour des raisons électoralistes et peut-être pour faire oublier sa très mauvaise gestion de la pandémie dans les CHSLD, le gouvernement de la CAQ choisit de privilégier la construction des Maisons des ainés.

Nous aurions pu privilégier l’humain.

Mais la piètre performance du Québec dans la gestion de la pandémie et la situation extrêmement difficile vécue par les personnes ainées devraient nous amener à revoir fondamentalement nos pratiques et à développer un projet social permettant aux personnes plus âgées et aux plus vulnérables de recevoir des soins dignes et complets, avec le soutien humain et technologique nécessaire, et à domicile, autant que possible. Et parce que le soutien à domicile est beaucoup moins couteux qu’une maison de retraite, nous contestons le choix d’investir uniquement dans ce genre d’établissements. Il faut souligner l’intense pression à laquelle le personnel a été

soumis après les années d’horreur de la gestion libérale sous l’ère de Gaétan Barrette : la pandémie nous aura montré que notre système de santé est très fragile et opère sous des conditions proches de l’exploitation pour les travailleurs et les travailleuses qui y œuvrent. Or, il est indécent qu’on parle des anges gardiens d’une part et qu’on ne reconnaisse pas le travail qu’ils et elles réalisent par des conditions de travail décentes d’autre part.

L’environnement au service des promoteurs

Nous nous questionnons également sur la capacité et la volonté du ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques (MELCC) de réaliser son mandat de protection du territoire, d’autant plus que le ministre Benoit Charrette, bien avant le dépôt du projet de loi 61, demandait à ses gestionnaires de mettre en place une nouvelle culture d’accompagnement des clients : « Il faut s’occuper de chaque demande comme si c’était la nôtre, comme si nous étions le promoteur, il ne faut pas être vus comme ceux qui veulent empêcher la réalisation des projets. » Que le ministre Charrette soit toujours ministre de l’Environnement après sa déclaration incendiaire de février dernier nous en dit long sur les orientations gouvernementales ; ce même ministre qui se déclarait fermé à l’idée de se donner une cible de réduction des gaz à effet de serre (GES) qui soit en phase avec les recommandations du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Au gouvernement de nous faire la démonstration de la nécessité de modifier les pratiques habituelles en matière de protection de l’environnement. Le risque en vaut-il le coût ? Comment en effet peut-on réconcilier qu’il serait possible de protéger l’environnement et d’agir si les chantiers œuvrent plus rapidement et sans avoir mené préalablement les études d’autorisation ? Peut-on faire confiance aux entrepreneurs pour respecter l’environnement s’ils n’ont plus à s’engager à le faire avant le début des travaux ? Et dotera-t-on l’action étatique de ressources additionnelles pour agir ? Considérant l’importance et la fragilité des milieux humides, même si ces milieux sont un peu plus balisés au sein du Pl. 66, n’aurait-il pas été préférable de maintenir les dispositions régulières en vigueur ?

Le gouvernement n’a pas fait une analyse adéquate de la pandémie.

Faut-il le rappeler, la destruction des écosystèmes, l’accélération des échanges commerciaux par la mondialisation et les pratiques destructives d’élevage sont les causes de l’apparition et de la propagation rapide du virus de la COVID-19 [1]. Non seulement il est indécent de la part d’un gouvernement de jouer à l’autruche face à l’enjeu climatique et environnemental, mais c’est aussi dangereux.

Peut-on enfin prendre au sérieux le gouvernement dans sa volonté d’accélérer les projets tout en protégeant l’environnement et en abaissant les mécanismes de protection institués à cette fin ? À considérer le peu d’entrain du gouvernement pour la question environnementale, permettons-nous d’en douter.

Il est préoccupant que le projet de relance économique ne fasse aucunement mention des défis écologiques auxquels nous sommes confrontés et qui nécessitent une transformation économique majeure. Nous sommes pourtant face à une opportunité historique et à un défi d’une urgence extrême. Tout projet devrait être évalué sur la base de la lutte aux changements climatiques et à la perte de la biodiversité. Ce qui ne s’inscrit pas dans une optique de résilience et de transition énergétique doit passer à la trappe. Par exemple, toute construction de logements devrait être conditionnelle à des normes de construction durables et écologiques, soit beaucoup plus élevées que celles présentement en vigueur au Québec. Tout ajout d’infrastructures routières devrait être remis en question afin d’éviter l’étalement urbain et la perte de territoires agricoles. L’argent public devrait servir en priorité à la transformation des pratiques agricoles et au développement de la souveraineté alimentaire, ainsi qu’à la réindustrialisation du Québec (tout en respectant l’idée de se sortir des hydrocarbures) pour moins dépendre des échanges commerciaux mondiaux.

Mais ce qui nous est présenté, c’est le Pl. 66. Et si la mobilisation de juin a fait avorter le Pl 61, elle doit s’appuyer maintenant sur ce succès important pour aller encore plus loin. Car le gouvernement de la CAQ fait la preuve de son manque de vision en priorisant un retour « à la normale » en matière économique, comme si la pandémie de la Covid19 n’était qu’un accident dans une histoire allant de soi.

Si nous ne saisissons pas collectivement l’opportunité d’agir maintenant, c’est nous qui finirons comme une note de bas de page de l’Histoire.

Notes

[1Voir l’Aiguillon, bulletin d’Attac, no. 63, mai 2020




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