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Attac

L'engagement militant

En ce début d'année, le bulletin vous présente différentes facettes de l'engagement militant. Un nouveau membre du Conseil d'administration nous fait part des motivations de son implication. Robert Jasmin nous raconte avec humour et émotion ses 11 ans à la présidence d'Attac. Avec Cédric Leterme nous découvrons d'autres militants : Idar Helle et les luttes menées par Attac-Norvège, et l'action citoyenne du CADTM, cette ONG belge qui depuis 20 ans travaille à la réalisation d'audits citoyens qui démystifient et contestent la dette publique.

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Mieux connaître le 1%, mieux définir le bien-être du 99%

Par Roger Lanoue

Pourquoi Robert Jasmin trouve-t-il valable de consacrer une partie importante de sa vie à construire ATTAC-Québec et valoriser le point de vue des citoyens ? Les pages suivantes de ce bulletin jetteront un éclairage sur ce trop rare et assez extraordinaire parcours. Pour ma part, j'ai voulu cette année m'associer au C.A. d'ATTAC parce que les questions qui suivent me travaillent...
La « droite » vise à protéger le capital, et donc les intérêts de ses propriétaires et agents - soit le 1 % le plus riche et même la partie la plus nantie de ce 1 %. Protéger le capital peut être un jeu mécanique, un système sans état d'âme quant au bien-être des personnes, une des bases du jeu étant d'ailleurs de traiter les personnes comme des facteurs de l'équation pour protéger/augmenter ce capital :

  • aller chercher chez l'humain-travailleur la rente maximale, en le traitant comme une « ressource » humaine, c'est-à-dire un des facteurs de production à rendre le plus productif possible, tout en le rémunérant le moins possible
  • canaliser le désir de « plus de bonheur » vers de la consommation, et donc mousser chez l'humain consommateur le comportement dépensier qui permet de s'approprier ses ressources financières
  • minimiser l'influence parfois contraignante ou indignée de l'humain-citoyen que l'injustice choque, qui se trouve plus heureux si ses concitoyens sont heureux, par exemple s'ils ont tous au moins accès à l'eau potable.

La « gauche » vise à protéger les personnes, reconnaissant à 100 % d'entre elles une certaine dignité; et c'est beaucoup plus compliqué, ne serait-ce qu'à cause des multiples définitions divergentes de ce que devrait être la justice sociale pour sept milliards d'humains dont une majorité est pauvre.

Susan George a démontré avec brio (Leurs crises, nos solutions, 2010) qu'on en sait beaucoup sur la situation économique du 99 %, soit les pauvres et la classe moyenne, mais qu'on sait vraiment trop peu de choses sur celle des richissimes, l'élite du 1 %, sur les mécanismes qui expliquent comment ils réussissent à toujours plus concentrer de richesse entre leurs mains. On sait qu'ils détiennent le capital et jouent à l'augmenter, qu'ils se paient à prix d'or des « think tanks », des conseillers stratégiques, les plus brillants avocats et fiscalistes. Avec ces aides, ils raffinent ainsi leurs modes de contrôle des banques, des circuits financiers, des grands médias, et sauf exceptions aussi leur contrôle du droit, du monde culturel, des mandats de recherche universitaire, des gouvernements, etc. Par exemple, les médias répètent ce qu'on leur dit, à savoir qu'il est rassurant (en fait, c'est rassurant pour le 1 %) que les nouveaux leaders publics de Grèce, d'Italie et d'Espagne aient déjà occupé des fonctions de cadres supérieurs chez Goldman Sachs, Merrill Lynch...

C'est pourquoi il faut faire connaître des ouvrages comme La stratégie du Choc : la montée d'un capitalisme du désastre de Naomi Klein, et Offshore : Paradis fiscaux et souveraineté criminelle d'Alain Denault (2010) qui tentent de décortiquer et révéler les façons modernes, aussi secrètes qu'elles aient toujours été, pour les dominants de dominer.

Le pouvoir « privé » est reconnu par les lois comme légitiment détenu par les actionnaires : en effet, les représentants de ceux-ci ont façonné les lois entre autres de façon à ce que :

  1. les profits d'une activité commercialisable appartiennent aux détenteurs du capital (entre autres en payant moins les travailleurs), plutôt qu'à ceux qui y travaillent (en payant moins le capital, par exemple à taux fixe de « prime » plus x %)
  2. soit légitimée une culture du secret, dite nécessaire dans un monde de concurrence, qui permet aux « personnes privées » que sont les entreprises de ne pas rendre de compte, même dans le cas des grandes entreprises qui doivent leur existence aux réglementations spéciales, aux congés fiscaux, ou à la protection du marché accordée par des gouvernements. Celles-ci peuvent donc cacher les passe-droits et les inefficacités, qui en milieu public s'appelleraient corruption et gaspillage de ressources.

Le pouvoir « public » est détenu par les gouvernants, peu importe leur mode de nomination, que ce soit par coup militaire ou élection. Dépendant du degré d'ouverture de la société et de la capacité critique des médias, il y a ou non lutte contre la corruption (NB. : corruption par le privé) et les inefficacités susceptibles de gangréner les administrations publiques.

Protéger les personnes peut plus difficilement s'apparenter à de la mécanique que la protection du capital; elle exige plutôt qu'on trouve des façons appropriées de respecter chaque personne. Mais sur quelle base culturelle ou politique ? Le monde religieux n'ose presque plus le discours « subversif » contre l'exploitation de l'homme par l'homme, et ose à peine, et encore avec moult civilités, réclamer la « justice sociale ». Le monde culturel suit le poids du capital; même les mots solidarité, entraide, coopération sont vus comme idéalistes, suspects ou marginaux en tant que mode d'organisation de la société. Le monde public, ou gouvernemental devrait être l'assise privilégiée de solutions de système laïque alternatif; or il est plutôt au service du capital, par le truchement des partis politiques et des politiciens interposés -- lesquels ont besoin de ressources (provenant des plus riches...) pour survivre n'est-ce pas ?

Dans ce contexte il me semble crucial d'amplifier le travail des pionniers d'ATTAC comme Robert Jasmin pour révéler, pour « rendre conscient ». Beaucoup d'éducation citoyenne à l'échelle de la planète sera requise, malgré les difficultés évoquées ici, pour pousser une partie significative du pouvoir du 1 % vers un pouvoir public qui pourrait éviter les souffrances inutiles du 99 %.

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Les leçons de 11 ans à la présidence d'Attac-Québec

Par Robert Jasmin

Après onze ans de vie comme président d'ATTAC-Québec, je me suis résigné à me dire non à un nouveau mandat. Non est un mot que je n'avais pas l'habitude d'utiliser devant des demandes citoyennes. C'était d'ailleurs un reproche de mes proches. Ce non, me rassurai-je, était l'exception qui confirmait la règle. J'ai donc couché sur papier quelques notes pour marquer ce départ. En les préparant, j'ai revécu les images de mes premiers pas dans le mouvement.

Mon adhésion s'est faite, comme plusieurs, à distance, par voie électronique. La lecture du Monde diplomatique m'avait conduit au site d'ATTAC-France et c'est là que j'ai appris l'existence d'un embryon de groupe ATTAC au Québec. Cette découverte coïncidait avec la préparation, à Québec, d'une manifestation de solidarité avec ceux et celles qui participaient à la bataille de Seattle. J'ai tenté de savoir s'il y avait d'autres membres de notre association dans la région et l'on m'a donné le nom d'une militante. Tous les deux, nous avons confectionné une large banderole avec deux draps d'hôtel (cette militante travaillait au Château Frontenac) sur laquelle nous avions inscrit « ATTAC-Québec ». Comme cette camarade travaillait le jour de la manifestation, j'ai dû demander l'aide d'un inconnu pour porter une extrémité de cette énorme banderole, qui s'avérait être la seule dans les rangs des 250 manifestants ce jour-là. Un journaliste a même cru qu'il s'agissait d'une manifestation organisée par un mouvement inconnu ! Nous avons eu droit à une excellente publicité gratuite dans les journaux. En l'espace de quelques jours, nous avons pu fonder une section locale d'une quarantaine de membres.

Ce « fait d'armes » m'a valu d'être nommé au premier conseil d'administration lors du congrès de fondation d'ATTAC cinq mois plus tard, en avril 2000. On disait que la région de Québec méritait bien d'avoir un représentant. La suite ne ressemble en rien aux histoires de lutte de pouvoir auxquelles nous sommes habitués dans plusieurs organisations : au mois de novembre suivant, le président fondateur, Pierre Henrichon me dit qu'il serait préférable que je sois président à sa place en ajoutant que les membres du conseil étaient tous d'accord avec lui. Voilà comment, il y a onze ans, je me suis retrouvé président d'ATTAC-Québec !

Mes tâches de président m'ont amené, deux ans plus tard, à prendre rendez-vous avec ma conscience : j'avais de plus en plus de difficultés à conjuguer ma profession de commissaire du travail et avec celle de président d'un mouvement altermondialiste (rencontre internationale sur la taxe Tobin, premier Forum social à Porto Alegre, représentation d'ATTAC au sein de coalitions diverses, etc.). J'ai donc pris une retraite anticipée pour devenir président à plein temps.

À partir de ce moment, j'ai parcouru le Québec en répondant aux demandes multiples de groupes très divers et j'ai eu l'impression que ma voiture ressemblait plus à un bureau qu'à un véhicule de transport. À l'occasion, je me joignais à d'autres membres d'ATTAC pour représenter notre association à l'extérieur du pays dans des rencontres internationales. Nous y allions autant pour informer les autres que pour apprendre d'eux. C'est ainsi que je me suis retrouvé à quatre reprises à Porto Alegre pour le Forum social mondial, et autant de fois à La Havane pour les rencontres de l'Alliance sociale continentale, à Paris pour les rendez-vous internationaux d'ATTAC et à Genève contre le G-20.

Mais toutes ces expériences passionnantes ne sauraient dépasser en importance les innombrables rencontres de formation et d'information que j'ai eu l'occasion de faire ici au Québec. Je pense en particulier à cette idée de la création de ces brigades d'information citoyenne (les BIC) que j'avais rapportée de Cuba où les brigades d'alphabétisation avaient fait leur preuve.

Présider ATTAC c'était aussi, à l'occasion, rencontrer l'imprévu : ce professeur brésilien qui, à la table d'un restaurant, me récita du Miron par cœur ou cette journaliste de Porto Alegre qui me demanda d'expliquer le Code du travail québécois à la télévision. C'était aussi des moments de solitude et de doute sur la portée de l'action lorsqu'on revient chez soi, la nuit, après une conférence et après avoir roulé pendant deux ou trois heures. Mais des moments de doute vite dissipés lorsqu'un vieux syndicaliste de 86 ans me téléphone pour me dire que dans l'autobiographie qu'il vient de terminer, il a consacré quelques pages à la taxe Tobin et aux paradis fiscaux à partir des notes prises à une de mes conférences ; ou encore ce professeur de Jonquière qui me confie que les trousses d'information citoyenne (les trousses BIC) que nous avions confectionnées lui servaient d'outil pédagogique dans ses cours d'économie.

Mais au-delà de ces anecdotes, il y a eu la prise de conscience de la nécessité de la lutte citoyenne contre l'obscurantisme issu de la propagande néolibérale. C'est au sein d'un groupe comme ATTAC que j'ai compris l'importance de déboulonner le mythe créé et entretenu par certains que l'économie serait une « science exacte » comme l'est la physique; c'est avec ATTAC que j'ai compris que les vrais utopistes étaient ceux qui croyaient que la croissance perpétuelle était possible ; enfin, c'est dans la nécessité de comprendre que j'ai appris que l'économie mondiale actuelle était dirigée par des criminels économiques coupables de crimes économiques contre l'humanité.

C'est aussi à cette école de la vie économique et militante que je me suis fait des amis irremplaçables, ce que la seule connaissance livresque ne nous donnera jamais. Des amis pour m'apprendre à penser ou repenser la réalité. Des amis pour m'enseigner la nécessaire solidarité militante, même celle qui se développe au sein des débats idéologiques ou stratégiques. À elles et à eux, je dis merci.

Ces notes n'auront pas de fin, car elles sont à parfaire par d'autres que moi. Chacun de nous a pris le train d'ATTAC à un moment d'une l'histoire qui s'est faite avant nous et celle-ci continuera après nous. J'ai été appelé à agir comme président d'ATTAC pendant ce court moment de l'histoire humaine qui m'était alloué et au cours duquel je me suis indigné, informé et impliqué. Ma vie de président touche à son terme, mais ma vie de militant continue.

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Conférence d'Idar Helle d'Attac-Norvège :
Leçons et perspectives pour les progressistes du Québec

Par Cédric Leterme

Le samedi 29 novembre dernier, dans le cadre de l'assemblée générale d'Attac-Québec, Idar Helle d'Attac-Norvège est venu nous entretenir de l'histoire de son organisme et de son rôle dans la tentative actuelle de réactualisation du fameux modèle social norvégien, qui subit également, à sa manière, les assauts de la globalisation néolibérale. L'intérêt était donc double, pour les personnes présentes, puisque les leçons à tirer de son exposé nous concernaient non seulement en tant que militant d'Attac-Québec, mais également en tant que citoyen québécois.

Sans revenir en détail sur le modèle norvégien qui avait fait l'objet d'une précédente conférence quelques jours plus tôt, Idar Helle a tout de même commencé son exposé en en rappelant brièvement les grandes lignes : obligation de l'objectif de plein-emploi, universalisme des prestations sociales, services publics financés par un impôt fort et disponibilité d'un « fonds des générations » alimenté par des revenus pétroliers considérables. Autant de caractéristiques qui ont contribué à faire de la Norvège une sociale démocratie souvent présentée comme « exemplaire ». Pourtant, ce modèle, produit de l'hégémonie exercée par le Parti travailliste sur la vie politique norvégienne depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, n'a pas échappé aux bouleversements introduits par la mondialisation néolibérale, qui ont abouti, selon Idar Helle, à une « droitisation » des politiques et discours gouvernementaux et à une montée en puissance inquiétante du système financier durant les trois dernières décennies.

C'est donc dans ce contexte que s'est créé, en 2001, Attac-Norvège, tandis que la même année, le Parti travailliste se retrouvait dans l'opposition après avoir réalisé son pire score électoral en 80 ans. La crise d'identité qui s'ensuivit au sein de la gauche a ainsi été l'occasion d'une vaste remise en question, dont des groupes comme Attac ont profité pour imposer un renouvellement des réflexions et des luttes progressistes en Norvège. Cette période d'effervescence, qui a vu la base militante d'Attac-Norvège s'élargir au gré des nombreuses mobilisations populaires qui ont ponctué le mandat de la droite au pouvoir, a toutefois subi un paradoxal coup d'arrêt en 2005, suite au retour de la gauche aux affaires. Cette torpeur relative va durer quelques années, mais l'éclatement de la crise des subprimes en 2007, et encore plus celles des finances publiques européennes en 2009-2010, ont contribué à replacer le travail et la réflexion de groupes comme Attac au centre du débat public en Norvège.

Nous sommes familiers, à Attac-Québec, avec ces mouvements de « yo-yo » imposés par la conjoncture à la vigueur de l'engagement militant. Bien que normaux, ceux-ci pointent toutefois vers une lacune soulignée par Idar Helle en ce qui concerne la situation européenne, mais que l'on pourrait facilement transposer chez nous, au Québec : la faiblesse de la convergence entre mouvements sociaux, partis de gauche et syndicats, au-delà d'alliances défensives et ponctuelles portant sur des enjeux précis. Cette remarque, fondamentale, en a par ailleurs rejoint une autre, formulée en fin d'exposé. Idar Helle a en effet conclu sa présentation en rappelant la nécessité d'internationaliser les luttes pour répondre à l'internationalisation des défis posés à nos modèles sociaux par la mondialisation. Ici encore l'argument est connu et on ne peut que se réjouir de voir la complémentarité des luttes menées par Attac-Norvège et Attac-Québec (Taxe Robin des bois, paradis fiscaux), mais beaucoup reste à faire dans ce domaine. À ce titre, des rencontres comme celle que nous avons eues avec Idar Helle sont aussi essentielles qu'enrichissantes.

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Les citoyens et la dette

Par Cédric Leterme

Véritable épouvantail brandi depuis plusieurs décennies pour justifier un assaut inlassable sur la plupart de nos acquis sociaux, la dette publique sert plus que jamais, à l'heure actuelle, de prétexte à la mise en œuvre d'un agenda néolibéral aussi brutal que criminel. C'est particulièrement clair en Europe, où sous couvert de lutte contre les déficits, les élites dirigeantes se livrent à une offensive sans précédent sur ce qu'il reste de l'État-providence (1). Mais la même logique est également à l'œuvre ici, au Québec, avec les « budgets Bachand », dont le caractère régressif n'est plus à démontrer (2).

L'hypocrisie de ces procédés est dénoncée depuis longtemps (3), mais leur critique a pris un nouveau tournant depuis l'explosion généralisée des déficits publics qui a suivi la crise financière de 2007-2008 et dont nous sommes encore loin d'être sortis. En effet, comment ne pas voir, cette fois, que ce n'est pas la « dérive dépensière » de l'État-providence qui est à blâmer, mais bien l'irresponsabilité totale de « la finance » et derrière celle-ci, les déséquilibres structuraux du néolibéralisme dont elle n'est jamais que l'expression. Or, comme il a déjà été maintes fois souligné depuis, cet échec patent de l'idéologie dominante n'a pas conduit à sa remise en cause. Au contraire, elle s'est plutôt traduite par son approfondissement à une échelle jusque-là inégalée, sous la forme de « plans de rigueur » et autres « cures d'austérité » aux impacts sociaux dévastateurs.

Il faut reconnaître qu'il y a là de quoi s'irriter. Et nos chers « experts » ont beau répéter en cœur que, juste ou injuste, l'austérité est inévitable puisqu'il faut bien la rembourser cette dette, on en vient tout de même à s'interroger sur l'exactitude de cette fatalité et sur la forme dans laquelle on nous la présente. Car il est quand même difficile d'admettre que ce soit les pensions, la santé ou l'éducation qui doivent souffrir en premier, alors que prolifèrent les paradis fiscaux et que les mêmes institutions financières qui ont causé la crise continuent d'afficher des bénéfices indécents. Mais au-delà de ces débats (légitimes) sur la répartition de l'effort à fournir, c'est surtout l'origine même de ces dettes qui fait de plus en plus l'objet d'une remise en cause. D'où viennent-elles exactement ? Qui les détient ? Pourquoi augmentent-elles sans arrêt ? Autant de questions qu'on nous présente comme strictement techniques, mais qui révèlent pourtant chaque jour un peu plus leur dimension proprement politique. Et c'est précisément pourquoi de plus en plus de citoyens s'en emparent.

Chef de file de cette fronde salutaire, le CADTM (4) prêche ainsi pour la réalisation d'audits citoyens de la dette publique, partout où cela s'avère nécessaire (et autant dire que les candidats sont nombreux). Forte de l'expérience acquise auprès des pays du Sud, cette ONG belge est particulièrement au fait des mécanismes par lesquels la dette peut devenir un instrument d'asservissement des peuples au nom desquels elle a été contractée. C'est ainsi qu'en 2006 son président, Éric Toussaint, a fait partie de la commission d'audit mise en place par le nouveau président Équatorien, Rafael Correa, laquelle a permis à ce dernier de suspendre le paiement de la dette extérieure équatorienne, dont 80 % s'étaient finalement révélés illégitimes (5). Il est important de noter que non seulement cette décision s'est appuyée sur des principes reconnus du droit international (6), mais qu'en plus elle est loin d'avoir entrainé le chaos économique et social systématiquement annoncé en pareille situation par les garants internationaux du pouvoir financier. Rappelons d'ailleurs à ce sujet que pas plus l'Argentine en 2001 (voir le bulletin d'Attac octobre 2011), que l'Islande en 2008, n'ont davantage eu à regretter leur propre choix (imposé, il est vrai, par une mobilisation populaire massive) de faire passer le bien de leur population avant celui de leurs créanciers (7).

Or, dès lors qu'en ce qui concerne les économies développées, désormais au cœur de la tourmente, les Gouvernements semblent plus enclins à se faire les complices de « la finance » qu'à défendre le bien commun, c'est aux peuples qu'il revient d'entreprendre ce nécessaire travail de démystification de la dette. C'est ainsi que des comités d'audit citoyen prennent forme un peu partout, comme en France, en Grèce ou encore en Tunisie. Et rien n'empêche que de telles initiatives voient le jour ici même, au Québec. Car si la situation est encore loin d'y avoir atteint le même degré de gravité qu'outre Atlantique, les mêmes dynamiques de fond sont à l'œuvre et l'utilisation systématique du déficit public pour justifier des politiques férocement antisociales y mérite tout autant qu'ailleurs qu'on y regarde d'un peu plus près.

Ainsi, pourquoi ne pas nous interroger nous aussi publiquement sur le caractère éventuellement illégitime d'une partie de notre dette et au besoin, d'en exiger la répudiation pure et simple ? Les trois conditions requises pour une telle qualification étant que la dette ait été contractée contre la volonté du peuple, que l'argent ait été dépensé à l'encontre des intérêts du peuple et que les créanciers aient prêté cet argent en toute connaissance de cause, gageons que dans le climat de collusion et de corruption qui règne actuellement au Québec, une telle situation serait loin d'être purement hypothétique. Mais plus fondamentalement encore, il s'agit surtout d'initier une réflexion qui nous permette, dans ce domaine comme dans d'autres, de nous réapproprier les termes d'un débat trop souvent confisqué par une pseudo évidence technocratique dont on voit très bien les intérêts qu'elle sert. Penser la dette, c'est avant tout penser les dynamiques structurelles inhérentes au néolibéralisme. Celles-là mêmes qui en ont fait « le régime du surendettement généralisé », aussi bien public que privé. Dans les deux cas, en effet, le transfert massif de ressources opéré en faveur des classes privilégiées ces dernières décennies s'est traduit par une explosion du recours au crédit de la part du reste de la population et des États. Et une fois la dynamique enclenchée, le versement d'intérêts contribuent ensuite à renforcer encore un peu plus la concentration de la richesse dans les mains de quelques nantis. On comprend dès lors pourquoi la dette constitue un aspect central de la stratégie d'asservissement du néolibéralisme. Mais à force de la brandir en permanence pour justifier toutes les régressions, il se pourrait bien que les peuples finissent par se lasser. Et qu'ils découvrent assez vite qu'il ne s'agit que d'un tigre de papier.

Notes

1 : Par un surprenant retournement de perspective, les mécanismes mêmes qui avaient été salués en 2008 pour avoir atténué les effets de la crise (allocations sociales, plans de relance, etc.) sont désormais pointés du doigt comme d'inacceptables preuves de laxisme budgétaire... Et les dirigeants européens de se lancer dans une surenchère d'austérité, dont on voit mal en quoi elle adresse la moindre des causes de l'effondrement de 2007-2008.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

2 : Voir, notamment, les études réalisées sur le sujet par l'IRIS, en ligne. ** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

3 : Louis Gille, « Les lucides et la dette », À bâbord !, nº 13 (février/mars 2006), en ligne ; Bruno Tinel et Franck Van de Velde, « L'épouvantail de la dette publique », Le Monde diplomatique (juillet 2008), en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

4 : Le Comité pour l'Annulation de la Dette du Tiers Monde, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

5 : À ce sujet, voir notamment l'excellent documentaire Debtocracy, en diffusion libre sur internet, qui décrit cet événement et qui en suggère la reproduction en Grèce, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

6 : Notamment, la notion de « dette odieuse » ou encore les obligations découlant de la ratification des pactes internationaux sur les droits sociaux et économiques. À ce sujet, voire de nouveau le site du CADTM, en ligne.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

7 : La situation est toutefois différente de celle de l'Équateur, puisque dans ces deux derniers cas, la décision n'a pas fait suite à un processus d'audit.** PLEASE DESCRIBE THIS IMAGE **

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Un livre à ne pas manquer

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Dérive et excroissance des marchés financiers

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