Bulletin, mars 2017

Livre

par Jeanne Gendreau

Optimisme écologique

«  Je suis un écologiste optimiste » lance David Boyd dans son huitième et plus récent ouvrage, «  L’environnement, les années optimistes » [1]

David R Boyd a œuvré au Canada comme avocat en droit environnemental pendant 10 ans, Il a pu constater le bilan désastreux en ce domaine, qui l’a fait «  sombrer dans la plus effroyable dépression de ma vie ». Jouissant d’une grande crédibilité, il a collaboré avec David Suzuki. Il a conseillé des gouvernements et des ONG en Suède et en Tunisie sur des questions environnementales et constitutionnelles. Il copréside aujourd’hui l’initiative Vancouver’s Greenest City 2020 avec le maire de Vancouver.

« Les humains sont très bons pour régler les problèmes qu’ils causent partout dans le monde », écrit David Boyd en réponse à sa fillette inquiète de l’avenir de la planète suite à des propos entendus à l’école et qu’il tente de rassurer.

Son livre vise à confirmer cette hypothèse.

Des gains environnementaux

L’auteur débute sa démonstration en décrivant comment au cours des dernières décennies, ont été sauvées de l’extinction plusieurs espèces animales et marines, notamment les ours polaires, les loutres de mer et les faucons pèlerins.

David Boyd qualifie la croissance des énergies renouvelables d’extraordinaire. «  La part du solaire, de l’éolien, du géothermique et de la biomasse a doublé de 2006 à 2011. La révolution des énergies renouvelables se déroule plus tôt et plus vite que quiconque ne l’avait prévu », écrit- il. Si des panneaux solaires étaient installés dans le Sahara, les continents africain et européen pourraient être complètement alimentés en électricité affirme l’auteur.

Remontant au début des années 1950, il montre comment les chlorofluorocarbures (Cftc), le plomb, les DDT et autres produits (agents ignifuges, antitaches, etc.) considérés comme des « merveilles chimiques », dévoraient allègrement la couche d’ozone à la façon d’un « pacman ». La lutte entre les scientifiques (qui à plusieurs reprises ont tenté d’alerter les instances et le public) et l’industrie était, on s’en doute, très inégale. La Compagnie Du Pont, entre autres, n’a pas hésité à utiliser des stratégies parmi les plus malhonnêtes. Ce sont les médias qui ont tranché et provoqué une onde de choc. Une catastrophe était imminente : la couche d’ozone était trouée, ce qui menaçait toutes les formes de vie sur la planète. Ce cri d’alarme s’est propagé mondialement et a été à l’origine du protocole de Montréal (1987), « le plus fructueux traité international sur l’environnement jamais négocié ». Tous les États du monde en sont signataires.

Sources d’inquiétude

Malgré les études qui démontraient la grande nocivité de plusieurs produits, les gouvernements à l’échelle mondiale ont tardé à les interdire. L’avocat de formation qualifie les stratégies de l’industrie chimique et du tabac de féroces et malhonnêtes. À la suite d’avancées et de reculs, le plomb a été pratiquement enrayé (mais après les CFC) au début des années 80. La promulgation de normes nationales de qualité de l’air a obligé les propriétaires à doter leurs véhicules de mécanismes antipollution et forcé les compagnies pétrolières à ne plus ajouter de plomb dans l’essence. Les autres industries qui utilisaient ces produits ont également été contraintes de participer à cet effort.

David Boyd partage les résultats d’une étude de Santé Canada, datant de 2013. Ces résultats peu connus du grand public sont révélateurs de l’ampleur des dégâts à long terme provoqués par l’industrie chimique : «  Le développement intellectuel des personnes qui ont été exposées au plomb pendant leur petite enfance a été limité ». Plus de 30 ans plus tard, ces intoxications seraient encore actives ! On soupçonne même que les personnes ayant vécu pendant ces années « de plomb » pourraient avoir développé le syndrome TDAH. Limitations intellectuelles et hyperactivité pourraient être générées par ces produits acceptés socialement.

Boyd expose un autre sujet d’inquiétude. Malgré tous ces traités, la pollution atmosphérique causerait plus de 20,000 morts prématurées seulement au Canada. Il a été bouleversé lors de sa tournée des méga complexes chimiques de Sarnia, une ville en Ontario près du Lac Huron, qui gère un centre de raffinage pétrolier et une production chimique industrielle parmi les plus importantes. Cette ville, affiche « le pire bilan du Canada en matière de qualité de l’air », s’indigne Boyd. Comment un pays dont « le progressisme social fait l’envie du monde entier » peut-il tolérer, dans l’indifférence générale, cette atmosphère empoisonnée et toxique ? (Paradoxalement, dans cette même ville, plus d’un million de panneaux solaires recouverts de cellules photovoltaïques ont été installés à quelques mètres au-dessus du sol, sur une surface de 365 hectares. Cette centrale était la plus grande d’Amérique du Nord en 2011. Elle produit 80 Mégawatts et alimente en électricité 12 000 foyers. Cette information n’apparaît pas dans le livre. Source : Wikipédia)

Le Canada n’est pas un leader au niveau environnemental, reconnaît David Boyd. Par exemple, il interdit le Bisphénol A dans les biberons mais refuse d’adopter des mesures pour contrôler le niveau d’arsenic dans le riz et les céréales. Le Canada a aussi défendu âprement l’industrie de l’amiante et n’a pas hésité à vendre ce produit à des pays pauvres.

Pour une économie circulaire

Pour assurer la pérennité écologique de la planète, l’auteur prône l’économie circulaire. Ce système économique- qui s’apparente au « développement durable- « est une des voies les plus prometteuses qui soient pour libérer l’humanité des pénuries de ressources et des problèmes environnementaux menaçant les progrès des derniers siècles ». Poursuivant son plaidoyer optimiste en faveur de ce type d’économie « verte », David Boyd soutient qu’une économie circulaire « recycle les matières à l’infini, repose sur les énergies renouvelables (…) et ne génère ni pollution, ni déchets (…)  ». Les économies collaboratives, les économies de partage (comme Uber, RBNB), les technologies de rupture (panneaux solaires, téléphones intelligents entre autres) seraient des facettes positives de l’économie circulaire. Cette rupture avec l’économie linéaire créerait également beaucoup d’emplois.

Il nuance cependant ses propos. « Une croissance infinie sur une planète finie est insoutenable par définition, car elle violerait les lois de la physique  ». D’ailleurs, écrit-il, plusieurs progrès pourraient être anéantis par la croissance démographique. Selon lui, il serait donc essentiel de « promouvoir l’éducation des filles et des femmes », ainsi que le droit à l’avortement pour la ralentir.

L’oubli du politique

Fidèle à sa vision optimiste, David Boyd conclut son ouvrage en décrivant le lieu où il vit, en des termes idylliques, voire naïfs, une réalité qui ne correspond pas nécessairement à des millions d’êtres humains. «  Nous vivons sur l’île Pender, une localité où les enfants se sentent chez eux sur la plage comme dans la forêt. Les enfants adorent passer du temps dehors, en milieu naturel. Ils s’y épanouissent et y tissent des liens profonds avec la nature. Avec Meredith (sa fillette), nous avons visité des joyaux de la nature canadienne. (…). J’ai grand espoir que ces expériences et ce livre aideront Meredith à devenir, elle aussi, une écologiste optimiste  ».

Le plaidoyer de l’auteur en faveur de l’économie circulaire, autre source d’optimisme, n’est pas forcément partagé par tous. Yves-Marie Abraham soulignait , dans notre dernier bulletin [2] : « contrairement à ce que nous répètent tous les marchands d’espoir qui occupent ce qu’il reste d’espace public, nous sommes actuellement dans l’incapacité totale d’accomplir la transition énergétique. Nous ne pouvons maintenir nos capacités de production actuelles sans les énergies fossiles dont nos machines dépendent encore à 80%  ». Philippe Gauthier [3] , dénonce également ce mythe : « les énergies renouvelables nous promettent une énergie propre, en quantité illimitée. L’ennui, avec cette promesse technologique, c’est que s’il y aura toujours du vent et du soleil, on ne peut pas en dire autant des machines transformant cette énergie primaire en électricité - et encore moins des ressources nécessaires à leur fabrication  »

Reconnaitre les gains historiques constitue en soi un exercice nécessaire, mais encore faut-il expliquer pourquoi et comment ils sont survenus. Le protocole de Montréal, par exemple, est issu de quelles luttes ? Comment les gouvernements en sont-ils venus à une entente aussi unanime ? Quels mouvements en étaient les initiateurs ? Comment pourrait-on s’en inspirer aujourd’hui ? Les réponses à ces questions sont à peine effleurées.

Les gains environnementaux ne peuvent se faire en-dehors d’un contexte socio-politique, une dimension que David Boyd néglige. Celui-ci reconnait que le Canada n’est pas un leader environnemental, mais il ne souffle mot sur son appui à l’industrie pétrolière et aux projets de construction d’oléoducs sur le territoire. Il se réjouit par ailleurs que le Costa Rica soit devenu « un chef de fil en environnement » en exportant des logiciels et des circuits intégrés, plutôt que des bananes et du café. «  Des géants de la haute technologie s’y sont installés pour bénéficier de sa main d’œuvre instruite, de son air sain et de son eau pure ».

Pour appuyer son propos, l’auteur énumère plusieurs changements - la diminution des famines, l’accès à l’eau potable, l’amélioration des conditions économiques dans les pays en voie de développement, l’augmentation du taux d’alphabétisation- mais, les références de ces études n’apparaissent pas dans sa bibliographie sélective.

David Boyd signe un ouvrage marqué par un désir presque viscéral de croire en la capacité d’auto-guérison de la planète. D’accord, mais est-ce suffisant ? Dans son dernier livre, Alain Deneault [4] écrit : « Si l’émotion peut et doit être un moteur, elle ne doit pas s’y limiter, sans quoi elle se referme sur le privé. Nécessairement passagère, l’émotion, une fois dissipée, éloigne le citoyen de la solidarité, comme nous l’avons trop souvent vu ces dernières années. Or, les changements politiques nécessitent temps, effort et organisation  ».
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Jeanne Gendreau est travailleuse sociale de formation. Elle milite depuis quelques années à Québec Solidaire. Elle est principalement intéressée par l’environnement et préoccupée par l’extractivisme et la construction des oléoducs. Elle s’implique depuis peu à Attac Québec

Notes

[1David R. Boyd, Environnement. Les années optimistes. Éditions MultiMondes 2016

[2Yves-Marie Abraham, Les pièges du développement durable », Bulletin d’Attac, décembre 2016.

[3Philippe Gauthier, Le low tech, alternative à la fuite en avant technologique , Bulletin d’Attac, décembre 2016.

[4Alain Deneault, Politiques de l’extrême-centre », Lux Editeur, 2016.




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