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Bulletin, décembre 2015

Le capitalisme du carbone : une autre injustice climatique

par Monique Jeanmart

En 2009, le bulletin consacrait 2 numéros [1] à la crise alimentaire et identifiait l’accaparement des terres par des investisseurs (Fonds de pension, Banques, pays étrangers, etc.) pour la production de biocarburants ou de cultures d’exportation – sous couvert de projets de développement - comme un facteur important de l’aggravation de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition en Afrique. La même année l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) posait clairement la question « Accaparement des terres ou opportunités de développement ? » pour conclure que ce néocolonialisme ne pouvait en aucun cas être considéré comme une opportunité de développement, l’intérêt des populations locales n’étant jamais pris en compte dans ce genre de transaction ou seul prédomine encore et toujours la recherche du profit.

Où en est ce dossier en 2015 ? La lutte contre les changements climatiques a pris le devant de la scène et la mise en place du marché du carbone fragilise encore plus l’agriculture traditionnelle en Afrique. La mise en place d’un marché d’échange de crédits d’émissions constitue une autre façon pour les pays développés de s’accaparer des terres qui – jusqu’alors – servaient à l’agriculture traditionnelle. Cet article pose la question d’un nouveau colonialisme le capitalisme du carbone ou accaparement vert qui est l’accaparement des terres et de ses ressources à des fins environnementales. Que se passe-t-il lorsqu’on fait appel au marché du carbone pour régler la crise climatique ? Qui en tire profit ? Qui en subit les conséquences ?

Des mécanismes de développement... pas si propres

Le protocole de Kyoto (1997) est le premier accord international visant à réduire les émissions de gaz à effets de serre (GES). Pour atteindre les objectifs visés à aucun moment n’a été évoquée la nécessité de transformations profondes du modèle dominant. La logique économique de poursuite d’une croissance matérielle infinie, assortie du dogme du libre échange et de la capacité du marché à réguler la société et le climat continue de prédominer.

De cette vision découle l’idée d’un « marché du carbone » qui repose sur 2 stratégies : un marché de droits d’émission (qui soumet les industries et les secteurs producteurs de GES à des plafonds d’émissions les crédits-carbone échangeables à l’intérieur d’un pays) et un marché d’échange de crédits d’émission, obtenus à l’extérieur dans le cadre de mécanismes de flexibilité. Le plus important étant le mécanisme de développement propre (MDP) qui repose sur la possibilité de la compensation carbone : émettre ici, éviter les émissions ailleurs.

Les MDP sont des projets dits « de développement propre » ou à faible intensité de GES implantés dans les pays en développement (l’Afrique en particulier) qui génèrent des crédits pouvant être achetés par des industries polluantes en compensation de leur manque d’atteinte des objectifs définis nationalement ou par des organismes (qui en font le commerce). Certains de ces projets utilisent un allié de taille les forêts - véritables pompes à carbone – qui absorbent le CO2 d’où l’idée d’investir dans les forêts des pays du Sud, soit en « développant » ces forêts avec à la clef des crédits carbone. À cette fin, des forêts de savane et des zones de biodiversité sont détruites pour être remplacées par des plantations monoculturales d’espèces exotiques, commercialisables (eucalyptus, jatropha, huile de palme, etc.) qui ne séquestrent pas plus de carbone que les forêts originales. Dans la réalité, de tels projets d’investissement dans des plantations sont des accaparements de terres et non des opportunités de développement parce que la terre que ces entreprises s’approprient est un moyen de subsistance qui assure la sécurité alimentaire et la survie des populations locales. Pas plus qu’ils n’aident la cause environnementale parce qu’ils ne permettent pas une réelle réduction des GES, ils constituent un frein vers la transition écologique en retardant les investissements nécessaires dans des technologies réellement propres.

REDD+ : fausses solutions climatiques et dangers pour l’agriculture traditionnelle

L’acronyme REDDS+ signifie « Réduction des émissions issues de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement ». C’est le terme sous lequel la disparition des forêts des pays en développement est discutée dans les organismes internationaux et la Finance carbone à l’instigation notamment du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale. C’est celui qui désigne des projets destinés à aider la cause climatique en luttant contre la déforestation.

À l’origine conçu pour des pays connaissant une importante déforestation (Brésil, Indonésie, etc.) l’extension du terme a permis de l’appliquer à une vaste majorité de pays dotés de forêts, mais qui ne se caractérisent pas par la déforestation. Dans l’acronyme, l’ajout du + correspond à l’amélioration des stocks de carbone, la gestion durable et la conservation de la forêt. » (2) ce qui a permis d’imaginer des crédits pour financer le non-déboisement. Selon cette logique des entreprises, des ONG internationales, des pays payent des pays forestiers pour empêcher une déforestation qui devrait avoir lieu sans le financement de projets REDD+ en proportion du carbone qui – autrement – aurait été libéré dans l’atmosphère. Il faut pouvoir constater que la forêt est protégée et qu’elle aurait été détruite sans projet REDD+ ce qui permet aux investisseurs de recevoir des crédits carbone ce qui est l’objectif recherché. Cette idée de compensation ne réduit évidemment pas les émissions globales et correspond dans les faits, à l’achat de droits de polluer. De plus, elle repose sur l’idée erronée que le carbone forestier et le carbone fossile sont une seule et même chose – et donc substituable – ce qui du point de vue du climat ne se justifie pas [2].

Si les projets REDD+ sont de fausses solutions du point de vue climatique, leurs conséquences négatives pour les paysans sont bien réelles ce que démontre l’analyse d’un projet au Mozambique [3]. Les objectifs sont la conservation d’une forêt appartenant à une communauté et l’introduction de nouvelles pratiques agricoles. Des contrats ont été conclus avec la population locale pour planter des arbres sur leurs parcelles et pour en prendre soin en même temps qu’elle protège une zone forestière en échange d’un revenu pendant 7 ans. Regardé sur le long terme ce revenu compte peu comparer aux obligations qu’il implique. Payées pendant 7 ans seulement, les familles restent responsables du travail d’entretien et de surveillance pendant 99 ans même après la clause de cessation de contrat et donc de payement. Le décès d’un paysan engagé dans le projet ne met pas fin à ses obligations, mais engage automatiquement ses héritiers légitimes. C’est donc une obligation transgénérationnelle et une obligation de travail non rémunéré qu’implique ce genre de contrat. Obligation qui n’est pas clairement mise en évidence lors de la signature du contrat avec les chefs de village et les paysans le plus souvent illettrés. Si le travail d’arboriculture s’avère trop intense, il se fera au détriment de l’agriculture traditionnelle qui assure leur survie et leur sécurité alimentaire. Pour accroitre leur revenu, les paysans peuvent être tentés de planter plus d’arbres sur la parcelle où ils cultivent pour leurs besoins ce qui met à risque leur sécurité alimentaire surtout quand les arbres plantés – tels les eucalyptus – sont de grand consommateur d’eau. Certains projets interdisent l’accès et l’utilisation des zones forestières protégées que les populations ont toujours utilisées pour la chasse, la cueillette et certaines cultures itinérantes.

En plus de fragiliser la situation individuelle des paysans, les projets REDD+ affaiblissent le pouvoir des communautés sur leurs territoires. Les crédits carbone obtenus dans un tel projet constituent une forme de titre de propriété. Ceux qui achètent ces crédits n’ont pas besoin de posséder la terre et les arbres qui stockent le carbone, mais ils possèdent effectivement le droit de décider comment ces terres seront utilisées. Ces contrats ne montrent jamais clairement – et même souvent cachent – la perte de contrôle qui en résulte. De plus, la logique sous-jacente à ces contrats repose sur une fausse conception de l’agriculture traditionnelle qui identifie les paysans comme une menace pour la survie de la forêt. Sans menace clairement établie pas de déforestation évitée, pas de carbone économisé, donc pas de crédits carbone ni de payement compensatoire.

Ces projets, sous couvert de projets de développement, ne sont qu’une autre échappatoire pour éviter de confronter la cause de la crise climatique la combustion des énergies fossiles en transformant les forêts et les terres agricoles des peuples indigènes en parc de conservation et en plantations. Inefficaces et ineptes du point de vue écologique, ils ont des conséquences sociales et économiques importantes pour les populations indigènes impliquées. Ils constituent une nouvelle injustice climatique qui affecte des villages et des communautés et constituent une nouvelle façon de les priver de leurs droits et de leurs terres permettant aux pays riches non seulement d’accaparer leurs terres, mais d’éviter la seule solution à la crise climatique : la transformation des modes de produire et de consommer.




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